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Les habitations agricoles, les étables, les fenils, sont en général construits en pierre calcaire du pays et recouverts d’ardoises. Ce sont des bâtimens à étages, la plupart déjà anciens, auxquels est souvent ajoutée une aile qu’on appelle dans le pays un quartier de maître, et où les propriétaires venaient autrefois passer quelque temps pour recevoir les fermages et récolter les fruits. Les habitans de ce district, n’ayant à exécuter aucun des rudes travaux qu’exige ailleurs la culture de la terre, mènent une vie facile assez semblable à celle des tribus pastorales. Ils jouissent d’une certaine aisance, parce que la concurrence n’a pas encore surélevé les fermages, et ils sont vêtus avec plus de soin et de propreté que dans les cantons voisins. À l’époque de la récolte des fruits, ces petites métairies présentent une animation inusitée : de toutes parts on monte aux arbres pour cueillir les pommes et les poires, qu’on entasse, qu’on assortit dans la cour, et qu’on porte ensuite sous le pressoir. Près de là, un feu vif fait cuire à gros bouillons dans une chaudière de cuivre le jus des fruits, jusqu’à ce qu’il se transforme en sirop épais qu’on met en tonne pour le livrer à la consommation. Toute la famille prend part à ce travail joyeux, qui est la fête de l’automne. Dans cette région favorisée, la terre a en ces dernières années acquis une grande valeur par suite du renchérissement qu’ont subi tous les produits du bétail. Les bons pâturages ne se vendent guère au-dessous de 6,000 francs l’hectare, les médiocres même atteignent le prix de 4,000 francs. Le prix de location varie de 120 à 200 francs l’hectare ; mais le fermage se règle souvent d’après le nombre de vaches que l’exploitation peut entretenir, mesure assez exacte de la fertilité d’une terre où la nature fait tout, et l’art agricole presque rien. L’économiste pourra observer ici en un curieux exemple comment la propriété foncière augmente de valeur indépendamment de toute coopération de la part du possesseur du sol, sans même que le fermier ait amélioré ses procédés agricoles, uniquement par suite de l’accroissement général de la richesse et de la population, par l’effet du perfectionnement constant des moyens de communication et de production. C’est aussi sur ces hauteurs verdoyantes qu’on peut goûter dans toute leur fraîcheur la paix et la sérénité de la vie rurale, surtout lorsqu’on jette ses regards d’un côté sur la vallée de la Vesdre, où Verviers dresse ses innombrables fabriques, qui préparent la laine et tissent le drap, de l’autre sur la vallée de la Meuse, où, au sein de la fumée incessante des machines, vivent ces milliers d’ouvriers qui exécutent les plus rudes travaux de l’industrie, depuis le houilleur qui fouille les entrailles de la terre jusqu’à l’armurier qui convertit en instrumens de guerre le fer que lui livrent les hauts-fourneaux voisins.