Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/697

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

beaucoup moins favorables à la culture que celles des localités situées ailleurs, en Suisse par exemple, à une altitude beaucoup plus grande. Si, dans les vallées mieux protégées contre les vents, l’humus végétal et les terres entraînées des hauteurs n’avaient pas formé un sol profond et fertile, il est à croire que l’homme eût toujours évité cette région sauvage ; mais, grâce aux prairies partout étendues le long des cours d’eau qui descendent des hauteurs, le cultivateur a pu nourrir son bétail l’hiver et exploiter avec avantage les pentes des collines. Dans ces dernières années, beaucoup de bois ont été défrichés sur les plateaux élevés, et des landes mises en culture.

Ce qui distingue principalement l’économie rurale de l’Ardenne, c’est la prédominance du système pastoral, la pratique de l’essartage et la place que l’avoine occupe dans l’assolement. Comme dans tous les pays où la culture est peu avancée et la population peu dense, l’élève des troupeaux constitue en Ardenne une source facile de profits. La vaste étendue des terres vagues et des biens communaux permet aux cultivateurs d’entretenir un nombre de têtes de bétail beaucoup plus considérable que ne sembleraient le comporter la grandeur et le produit de leurs exploitations. Les hautes landes et les pâtis n’offrent point sans doute une nourriture très abondante, mais les races sobres du pays s’en contentent, et la seule difficulté est de les empêcher de mourir de faim pendant les longs mois d’un hiver prolongé. À l’automne, on vend une partie de ce bétail. Néanmoins les fermiers en gardent encore trop pour la quantité de fourrage dont ils disposent. Aussi les animaux sont-ils mal nourris pendant toute la saison froide ; ils maigrissent, ils perdent leurs forces ; les vaches ne donnent presque plus de lait, et les jeunes bêtes cessent de grandir. C’est probablement à ce dur régime que les races ardennaises doivent les caractères qui les distinguent. Au lieu de ces vaches énormes et lourdes qui paissent dans les grasses prairies des polders, on rencontre ici de petites vaches presque sans pis, la tête effilée, les cornes aiguës, les sabots droits et secs, la jambe fine et nerveuse, aussi agiles que les ruminans des montagnes. Le cheval ardennais est petit aussi, mais adroit et robuste ; il a le pied sûr, et résiste admirablement aux privations et à la fatigue. Il a le cou busqué et la tête carrée des béliers gravés sur les monumens égyptiens. Le mouton lui-même a des formes réduites ; il donne peu de laine et de viande, mais sa chair, d’un goût exquis, rappelle celle du chevreuil. La chèvre seule, se trouvant dans un pays qui convient à ses instincts agrestes et vagabonds, conserve toute sa taille.

Dans les exploitations de l’Ardenne, on distingue deux espèces de terres : celles qui sont soumises à une culture régulière et qu’on nomme terres à champs, et celles qui sont cultivées seulement tous