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UN
JEUNE ECRIVAIN
ETUE MORALE

HENRY MURGER ET SES OEUVRES

Parmi les hommes destinés à laisser leur trace dans la littérature de leur temps, il en est dont on peut apprécier le talent, l’influence et même la vie d’après les règles établies qui gouvernent la conscience et la raison ; il en est d’autres au contraire dont on ne saurait approcher sans ressentir un singulier embarras. Nous comprenons qu’il y aurait inconséquence à nous abandonner sans réserve à l’attrait bizarre qu’ils inspirent ; mais en même temps un instinct supérieur aux plus beaux raisonnemens nous avertit qu’il y aurait injustice à leur appliquer en toute rigueur des lois morales auxquelles ils désobéissent sans songer à mal, et comme par une pente imperceptible de leur éducation ou de leur nature. On avoue tout bas qu’ils auraient peut-être moins de charme, s’ils étaient plus réguliers, plus corrects, plus habiles à se conduire, s’ils ressemblaient moins à ces personnages dont ils excellent à retracer les physionomies et les aventures. Le mal dont ils souffrent, si l’on osait inventer un mot pour le définir, s’appellerait l’inconscience. C’est un sens qui leur manque, et qui, en leur manquant, les laisse désarmés contre le monde et contre eux-mêmes, incapables de dégager d’un dangereux alliage les portions délicates de leur intelligence, et par cela même intéressans comme des pupilles sans tuteur, comme des