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Peut-être Parker, séduit par cette belle science allemande aux allures si larges et contrastant si fortement avec les manières méticuleuses des théologiens de son pays, ne sut-il pas toujours conserver un juste équilibre dans la formation de ses opinions religieuses. Il fut peut-être conquis plus encore que gagné. Cependant il dut à sa nature anglaise de ne pas suivre aveuglément le torrent de la critique moderne. C’est ainsi qu’il fit paraître une des critiques les plus fines qui existent du fameux livre de Strauss sur la Vie de Jésus, tout en rendant hommage aux éminentes qualités et au caractère si calomnié de l’auteur. Autour de lui pourtant, on ne comprenait encore ni ce qui avait provoqué et, jusqu’à un certain point, justifié historiquement l’entreprise de Strauss, ni par conséquent la valeur d’un point de vue qui ne précédait pas, qui dépassait celui du docteur allemand. Parker devenait de plus en plus suspect. Adoré de ses paroissiens de West-Roxbury, il avait toute liberté de conformer ses prédications à ses vues avancées sur la Bible. Néanmoins un sermon où il distinguait ce qui est impérissable dans le christianisme de ce qui varie avec les temps et les lieux occasionna bientôt une véritable tempête. L’unitarisme américain, dont la raison d’être consistait pourtant dans son indépendance dogmatique, fut infidèle à son esprit, à sa véritable mission, au rebours de l’unitarisme anglais, qui depuis s’est montré beaucoup plus sympathique aux récentes évolutions de la science religieuse. Ce fut un étrange conflit. Ce qui prouve combien était grande parmi les unitaires l’influence latente de la philosophie de Locke, c’est que l’arme favorite des ennemis de Parker fut la vieille thèse sceptique d’après laquelle, sans révélation miraculeuse, nous ne pouvons être certains ni de Dieu, ni du devoir, ni de notre âme, ni de rien au monde, ce sophisme mortel qui n’a jamais servi qu’à ébranler encore un peu plus les autorités menacées au profit desquelles on a voulu l’exploiter.

Le conflit ne tarda pas à prendre de l’extension. Parker, comme tous les réformateurs, avait articulé franchement et tout haut le mot que bien des contemporains cherchaient encore : foi libre, émancipée de toute autorité s’imposant tyranniquement à l’homme, mais accordée spontanément par la conscience et le cœur sans dommage pour la raison. Une réunion de Bostoniens, ayant appris que la plupart des chaires unitaires seraient désormais fermées à Parker, voulut lui fournir l’occasion de se faire entendre à Boston. Il vint, il exposa ses idées religieuses et rencontra des sympathies qui dépassèrent son attente. C’était en 1843. Sa santé, déjà compromise par le travail, le força de se reposer pendant une année, qu’il consacra à parcourir l’Europe. Ce fut peut-être, a-t-il dit, l’année la plus profitable de sa vie. Il en revint affermi dans ses vues et dans ses espérances.