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se sont emparés de cinquante balles de soie (pour 120,000 francs). Grâce à l’intervention du gouvernement anglais, une partie de la propriété volée a été recouvrée ; mais cela ne se passe pas souvent ainsi.

Les dangers d’être dévalisés ne sont pas les seuls que courent les marchands qui pénètrent dans l’intérieur. Il est impossible d’y inspecter la soie aussi scrupuleusement qu’on le fait à Shang-haï, si on n’y traite pas avec des marchands connus et dont la réputation offre certaines garanties. Il arrive alors souvent qu’un achat qui semblait avantageux en province se trouve une fort mauvaise affaire au moment de l’inspection de la marchandise à Shang-haï. Tout cela est la faute des rebelles, et les marchands sont naturellement unanimes à les maudire du fond de leurs cœurs. Ces gens sont en effet une véritable peste pour ce malheureux pays, et la patience des Anglais, qui sont à présent en contact journalier avec eux, commence même à se lasser. Déjà le principe de non-intervention, que l’Angleterre prétendait vouloir maintenir ici, a été violé à diverses reprises. La défense de Shang-haï était une intervention en faveur du gouvernement tartare. Sans cette intervention, les Taï-ping seraient aujourd’hui maîtres du grand port du Yang-tsé-kiang, et la cour de Pékin ne recevrait pas un quart des revenus qui servent à payer l’indemnité de la dernière guerre franco-anglaise contre la Chine. On va plus loin aujourd’hui : défense expresse est faite aux rebelles de s’approcher de Shang-haï, Housung, Ning-po et des autres villes où résident des étrangers. Les troupes impériales se concentrent là où elles se savent protégées par des forces européennes, portent de là leurs coups aux armées des Taï-ping et trouvent un refuge assuré après avoir essuyé une défaite. Quelques milliers de soldats européens suffisent pour maintenir en respect d’une part le gouvernement impérial, de l’autre le gouvernement révolutionnaire d’un pays de 400 millions d’habitans. C’est incroyable, et c’est ainsi.

Le commerce d’importation n’est pas plus heureux que le commerce d’exportation. On avait espéré que l’ouverture des grands ports du nord et du Yang-tsé-kiang centuplerait la demande des manufactures de Manchester et de Glasgow ; mais il n’en est rien. Il est prouvé à présent que les grands marchés de Han-kow et de Tien-tsin ont de tout temps trouvé de quoi satisfaire leurs besoins de produits européens, et qu’en y allant nous ne faisons que remplacer les agens chinois qui avaient l’habitude d’envoyer de Canton et de Shang-haï ce que l’on pouvait vendre à Han-kow et à Tien-tsin en fait de cotonnades anglaises et américaines. Les marchands d’opium ont été également trompés dans leurs spéculations ; il se trouve que l’on cultive dans l’intérieur de la Chine le pavot sur une vaste échelle et qu’on y produit de l’opium qui, à cause de son bon marché, peut rivaliser avec les belles, mais coûteuses qualités des Indes. Les marchands d’opium, en l’apprenant, ont bien été un peu désappointés, mais ils ont eu la satisfaction d’avoir trouvé le meilleur argument contre ceux qui les accusaient de démoraliser la Chine. Puisque l’opium est un produit indigène, puisque les Chinois ne dépendent en aucune manière des Européens pour s’empoisonner, si cela leur fait plaisir, ce n’est plus les Européens qu’il faut accuser, de la démoralisation de la Chine par l’opium.

Un autre fait auquel on attribue en partie la mauvaise marche des affaires, c’est le régime appliqué à la douane chinoise. Dans ses rapports avec le