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des biens pour ainsi dire inévitables que la civilisation apporte naturellement aux nations modernes.

Dans cette disposition d’esprit, abordons, après les grands observateurs que nous avons cités, l’examen de la démocratie. Cet examen est nécessairement comparatif. Dans les jugemens plus ou moins sévères qu’on en porte, il y a toujours un parallèle tacite entre elle et une société formée sur d’autres erremens. En signalant ses faiblesses, ses travers, ses fautes, tout ce qu’elle a trop pu trop peu, on se forme presque toujours dans l’esprit le type d’une société toute classée à laquelle on attribue toutes les qualités qui manquent à la première. Mais ce type existe-t-il ? Cette société, où est-elle, et quand a-t-elle été ? Je souscris presque à tous les reproches que Royer-Collard adresse à ses contemporains ; je ne saurais pourtant le suivre quand il semble insinuer que les enfans ne les ont pas hérités de leurs pères. Je repousse la condamnation comparative. La société démocratique a, je le veux, les défauts qu’on lui impute ; mais il ne s’ensuit pas qu’elle les ait parce qu’elle est démocratique, ni que la société aristocratique n’en eût point de pareils ou de plus grands, ni même qu’il y ait eu avant nous une société aristocratique. Si le nouveau régime doit périr parce qu’il n’a pas les vertus de l’ancien, pourquoi donc l’ancien, qui, dit-on, les avait, serait-il tombé ? Lorsqu’on l’examine sans prévention, on n’y voit point que, par rapport à la politique, à l’intérêt social, il offre dans les mœurs, les opinions, les caractères, une supériorité décourageante pour le présent. Un homme élevé avant 1789 dans une famille exceptionnelle par les croyances et la moralité, et qui trouve en lui réunies la force de la raison, la liberté de l’esprit, l’indépendance du caractère, la sévérité de la conscience et la dignité des goûts et des habitudes, un homme en un mot comme Royer-Collard, aimait à se figurer que la société du passé était riche de ses pareils, et il semble quelquefois le supposer tout en reconnaissant ailleurs qu’elle méritait sa chute. Cependant, si on lui demandait où il trouve l’existence et surtout l’influence de ces hommes d’élite, refusés, dit-on, à la société démocratique, que répondrait-il ? Quels sont, au XVIIe siècle, ces hommes fiers et généreux semblables à l’Alceste de Molière, ce modèle idéal dont Montausier n’était que la faible et pâle copie ? L’abbé de Saint-Cyran et Arnauld seraient, avec d’autres traits, de ces hommes de choix dont on doit envier la force, l’esprit, la vertu : eh bien ! ils ont vécu dans la persécution ou l’exil. Fénelon avait au plus haut degré les grandes qualités aristocratiques jointes à des talens encore plus rares : la disgrâce, les mécomptes, les dégoûts, voilà son partage. Beauvilliers et Chevreuse sont d’honnêtes gens, des hommes sérieux et dignes : quelle a été leur influence et en quoi