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les contradictions ! avec quelle force il démolit tout son échafaudage ! Point d’argumens vulgaires, aucune déclamation ; chaque coup porte et fait brèche. Un grand chrétien de nos jours, Alexandre Vinet, a réfuté le panthéisme en une seule page au nom du sens commun et de l’éternelle morale. « La personnalité de Dieu ne se conçoit pas, s’écrie-t-il, son impersonnalité pas davantage ; mais comment Dieu aurait-il pu donner ce qu’il n’avait pas ? comment l’impersonnalité aurait-elle pu produire quelque chose de plus excellent qu’elle-même, je veux dire la personnalité ? Puisqu’il y a des êtres finis qui sont personnels, il y a un infini qui est personnel, il y a une personnalité infinie, et toute la question est de savoir comment il peut y avoir des personnalités finies, comment en dehors de Dieu et vis-à-vis de Dieu quelque chose peut dire moi, en d’autres termes, comment il peut y avoir un moi qui n’est pas Dieu. Évidemment cela nous passe ; mais il n’importe, cela est. L’homme, chaque homme est un être personnel, et la personnalité est une partie essentielle de la notion d’homme. Cet être personnel, cet être à qui il a été donné de dire moi, le dit trois fois. Il le dit à Dieu, au monde, aux autres hommes, en un mot il se distingue. Cette distinction n’est pas un isolement. Si cet être n’est personnel qu’en se distinguant, il ne vit de sa triple vie, organique, intellectuelle et spirituelle qu’en s’unissant. Il ne saurait s’isoler sans périr. La personnalité implique l’individualité. L’être personnel est encore plus pleinement, plus énergiquement individuel que l’être impersonnel ; l’homme est plus individuel que la plante, mais il a aussi des liens, et parce que son existence est plus riche, il a des liens plus nombreux ; il est dépendant, il est solidaire, il est à la fois un tout et fait partie d’un tout… » Excellentes paroles, condamnation en premier ressort des erreurs de Spinoza ; mais Spinoza peut en appeler, il est riche en argumens subtils, en difficultés imprévues. Or la démonstration morale ne suffit pas pour affranchir les esprits enlacés dans le terrible réseau de ses formules géométriques ; il faut le suivre pied à pied, il faut briser une à une toutes les mailles de son filet d’airain. Le moraliste touche le cœur ; quand l’erreur est métaphysique encore plus que morale, c’est au métaphysicien de la détruire. Telle est l’œuvre particulière de M. Saisset ; psychologue pénétrant, il possède à un rare degré le sens métaphysique. Cette science des premiers principes qui donne le vertige aux esprits mal préparés, il l’a étudiée avec les maîtres, il l’aime, il s’y plaît, il en connaît les limites, il sait ce qu’il y faut de prudence et de hardiesse, quelles ressources on possède pour démêler l’erreur et la vérité dans les inextricables constructions de Spinoza. Ce qui me paraît surtout bien remarquable, c’est le sentiment de la vie, l’amour