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à ces collections ; Ribeira, qui appartient à l’école italienne, devait être écarté : Murillo a donc remporté facilement la palme sur ses compatriotes. Il s’est trouve à la mode, de même que Boucher et Watteau, méprisés pendant un demi-siècle, de même qu’Hobbema, que notre génération a voulu découvrir avec la joie du navigateur qui prend possession d’un îlot non exploré. Or l’oubli crée une seconde naissance, et chez nous on confond volontiers ce qui est nouveau avec ce qui est beau. Murillo fut porté aux nues, ses toiles furent payées à l’égal des toiles des grands maîtres : le musée du Louvre en sait quelque chose.

D’un autre côté, si vous interrogez les artistes, vous sentirez qu’ils font peu de cas de Murillo, car, bien qu’ils lui reconnaissent de l’habileté et du charme, ils ne voient chez lui ni la force qui leur impose, ni la science et l’ensemble de qualités originales qui les attachent. C’est pour éviter cet excès contraire qu’il convient de ne point séparer Murillo de l’Andalousie, d’abord parce qu’il est une expression du génie de son pays et tire de ce rapprochement un intérêt nouveau, ensuite parce que c’est en Andalousie que sont restées ses plus belles œuvres. Ce que possède le Louvre ne peut être compté, si l’on considère ce que possède le musée de Madrid ; mais les Madrilègnes eux-mêmes confessent que Murillo ne doit être jugé qu’à Séville. Pour moi, je suis séduit par les dons aimables de ce peintre, et sa figure m’apparaît toute sympathique, sans que je me dissimule ses défauts. J’ai étudié ses tableaux avec un plaisir très vif, mais je n’ai ressenti ni une admiration aveugle, ni même ce qu’on appelle proprement de l’admiration : ce sentiment n’est dû qu’aux maîtres. Velasquez est un maître, Murillo est un bon peintre ; l’un a du génie, l’autre n’a que du talent. Les critiques auxquels Murillo inspire de l’enthousiasme, et surtout les historiens de la Péninsule, me pardonneront donc si je n’adopte pas les rites solennels qu’ils ont établis autour de leur idole. Par exemple, afin d’égaler Murillo à Raphaël, on lui prête trois manières successives, comme si la puissance de se transformer à ce point n’était pas le privilège des âmes supérieures. Je cherche en vain ce qu’il y a de réel sous d’aussi pompeuses divisions, à moins que la première manière de Murillo ne réponde à l’époque où il ne savait que badigeonner des morceaux de serge, sa seconde manière à l’époque où il se formait en copiant les chefs-d’œuvre de l’Escurial, et sa troisième à celle où il possédait enfin l’art de peindre. Or tout écolier a parcouru ces trois phases. De même, lorsqu’on veut distribuer en trois catégories distinctes les tableaux de Murillo, et qu’on dit : « Celui-ci est du genre chaud, celui-là du genre froid, cet autre du genre vaporeux, » je crains que la classification ne porte sur la variété des sujets et sur