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jusqu’au grotesque, comme pour célébrer un carnaval perpétuel. Partout saint Joseph, avec son manteau de brigand, son feutre galonné qui ferait croire qu’il va jouer le rôle de Gessler ; partout saint Jacques en costume de tournoi, saint Michel en costume de chasse ! N’ai-je pas trouvé notre saint Louis en bas de soie, avec des bottes molles, soigneusement cirées, et un haut-de-chausses bouffant que lui envieraient les troubadours de nos pendules ? Ici l’enfant divin devient une poupée de cire, là les madones semblent prêtes à partir pour le bal. La grossièreté de certaines représentations prouve que la superstition a étouffé non-seulement la piété vraie, mais le respect. On voit à Cadix, dans l’église de San-Domingo, la Vierge de grandeur naturelle, en bois peint : elle est sur une chaise longue, les jambes étendues, présentant au spectateur les semelles de ses souliers, les deux mains croisées sur le ventre, dans une attitude qui ne permet pas d’ignorer que c’est la sage-femme qu’elle attend. Ce mélange de fétichisme et de cynisme ne refroidit pas les âmes, il les prépare plutôt à l’intolérance et seconde les fureurs de la persécution. Le contact des Juifs et des Maures convertis a excité vivement les passions religieuses en Andalousie. Il n’est pas de pays où l’inquisition ait fait couler plus de sang, où les auto-da-fé aient été plus magnifiques. Les arts sentirent aussi le joug d’une institution qui voulait tout gouverner par la terreur. Les boutiques des marchands, les ateliers des peintres étaient soumis à une surveillance rigoureuse. Malheur à qui eût osé tracer des beautés profanes, cessé de mettre son talent au service de la foi, ou même représenté les sujets sacrés sans se conformer aux règles qui étaient imposées aux artistes ! Parmi les inspecteurs nommés par l’inquisition, on cite Pacheco, le beau-père de Velasquez. D’ailleurs les peintres étaient parfois rattachés au clergé par des liens directs : Alonzo Cano, Cespedès, les deux Garcia étaient chanoines ; Las Roelas et Ferrer, licenciés ; Fernandez de Castro avait une prébende au chapitre de Cordoue. On comprend que dans une société ainsi surveillée il n’y eût pas de place pour les sujets empruntés à l’histoire profane, et surtout à la mythologie.

La sévérité s’était relâchée au temps de Murillo parce que la dévotion avait remplacé peu à peu le fanatisme. L’influence des jésuites, si grande en Espagne, fut acceptée avec un goût particulier par les habitans de Séville. Les principes accommodans, la pénitence facile, beaucoup de plaisirs permis, tous les directeurs aimables, un culte riant, des églises ornées avec une magnificence inconnue, des pompes mondaines pour charmer les sens, un relâchement opportun pour gagner les rebelles, une séduction qui pénétrait les secrets de la vie privée, qui n’aurait peut-être pas voulu