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que Velasquez était doué plus hautement, et qu’il a pu sans peine prendre place parmi les princes de l’art, tandis que Murillo n’est qu’un peintre habile, plein de charme, auquel on ne peut refuser beaucoup de talent ; mais ce talent n’est pas de premier ordre.

L’école même de Murillo semble confirmer notre jugement, car il a eu une école nombreuse, prolongée ; l’académie qu’il a fondée à Séville n’a vécu que de ses inspirations. Cependant aucun peintre remarquable n’est sorti de son atelier, ses élèves n’ont appris qu’à l’imiter, ou plutôt à le contrefaire. Nunez de Villavicenzio, Meneses Osorio, Philippe de Léon, Gutierez, obtinrent quelque faveur, non parce qu’ils montraient des mérites nouveaux, mais parce qu’ils s’appropriaient si bien la manière de Murillo que tout le monde s’y méprenait. Thomas Martinez, qu’il faut distinguer des douze artistes du même nom, apprit de Gutierez les procédés d’un facile plagiat. Michel de Tobar, qui n’avait que quatre ans lorsque Murillo mourut, se mit plus tard à le copier de façon à tromper les amateurs. De tels succès sont la condamnation du maître, parce qu’ils prouvent que son originalité n’est pas assez relevée, que sa science est très accessible, que les secrets de son coloris sont peu profonds, qu’il a des qualités trop faciles à conquérir par le vulgaire. Ce qui lui est personnel et ce qu’aucun de ses élèves n’a pu lui dérober, c’est la grâce poussée jusqu’à la volupté : eux, au contraire, ont été poussés par l’esprit d’imitation jusqu’à la plus fade platitude. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un regard sur les Polissons de Villavicenzio et sur la Vierge de Tobar qui sont au musée de Madrid. La Vierge garde de blancs moutons qui lèvent amoureusement vers elle leur bouche ornée d’une rose ; voilà le dernier mot de l’école.

Depuis deux siècles, les habitans de Séville n’ont pas cessé d’admirer et de copier leur peintre favori ; tous ceux qui apprennent l’art de peindre sont nourris dans ce culte. Ne parlez pas aux Andalous de Velasquez : c’est un transfuge, il s’est fait Castillan, et l’on ne connaît point ses œuvres ; mais si vous demandez quel est le plus grand peintre de l’Espagne et de l’Europe, cent mille voix vous crieront que c’est Murillo. L’Andalousie devait bien cette reconnaissance au peintre qui l’a illustrée, qui a traduit fidèlement ses séductions, immortalisé les traits de sa race, et qui demeurera le représentant du caractère national.


BEULE.