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Brézimberg. Sautant lestement à bas de sa cavale et se débarrassant de sa cape, le jeune gardian descendit dans l’arène, tout aussi fringant que si l’humide marin n’eût pas terni le ciel.

— Il faut donc que ce soit un étranger qui fasse votre ferrade ? cria-t-il aux gardians confus. Est-ce gagner loyalement vos gages que de refuser de marquer au chiffre de votre maître les bioulés de sa manade ? Attendrez-vous qu’ils soient adultes ? Vous savez bien pourtant qu’il est plus facile de renverser un vedel qu’un bioulé, et un bioulé qu’un palusin. Avant tout, un gardian doit se faire respecter de son troupeau. Comme les hommes, les taureaux ont de la mémoire, et ceux-ci, se rappelant plus tard votre lâcheté, pourraient bien vous en rendre victimes. Si c’est le marin qui vous paralyse, je vais vous montrer comment on triomphe à la fois des nuages malsains et des bioulés récalcitrans.

Et il s’élança vers les taureaux. « Les fers ! » cria-t-il d’une voix tonnante. Ayant saisi brusquement un de ces animaux par les cornes, il le renversa sur le flanc au moment même où un gardian accourait, un fer rouge dans les mains. Ce dernier appliqua l’instrument sur la cuisse du bioulé, qui se débattit en beuglant. Lorsque Bamboche le rendit à la liberté, il s’enfuit vers la pinède, portant à tout jamais gravées dans ses chairs fumantes les initiales de son maître.

Si la peur est contagieuse, le courage l’est plus encore peut-être. Électrisés par l’exemple de Bamboche, les gardians se décidèrent peu à peu à poser leur cape, à descendre dans l’arène et à terrasser les bioulés. Armés de leurs tridens, quelques vieillards restèrent seulement autour du troupeau pour y maintenir l’ordre. Terrifiés par le traitement qu’ils voyaient infliger à leurs compagnons, les bioulés haletans regardaient le brasier avec angoisse. Pour les faire sortir des rangs, il fallait les piquer fortement ; mais, arrivés dans l’arène, ils y retrouvaient toute leur ardeur, et furieux, écumans, ils s’y débattaient avec violence contre ceux qui voulaient les terrasser. Ce fut bientôt une véritable mêlée, où l’on vit rouler dans la même poussière les lourdes masses des taureaux et les corps agiles des gardians. Le sourd mugissement des animaux se mêlait aux cris aigus des hommes, tandis que l’appel strident « les fers ! les fers ! » annonçait à chaque minute le renversement d’un nouveau bioulé.

Après deux heures de cette lutte acharnée, où Bamboche à lui seul fit plus de besogne que tous les autres gardians réunis, le propriétaire satisfait remonta sur son tap et annonça que la ferrade était finie. Il restait bien encore quelques taureaux, mais on les avait déjà jugés trop forts l’année précédente pour être marqués sans danger, et le maître comprit que, s’il ne voulait exposer la vie de ses gardians, il devait en faire le sacrifice. Forts, trapus, la