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des colonies françaises et espagnoles, Mézélie, la Petite Reine, Sydonie, Madame de Rieux. Son imagination a donc beaucoup plus voyagé que ne le croient certains lecteurs, et que nous ne le pensions nous-même avant d’avoir lu ses premiers romans ; mais, chose remarquable, ses excursions se sont toujours bornées aux pays du midi. Sa curiosité s’arrête aux pays chauds qui lui rappellent la terre natale, et son talent n’a jamais eu aucun caprice pour les pays du nord, dont il semble ne pas comprendre la poésie. Aussi son œuvre, quand on la considère dans son ensemble, présente-t-elle à peu près l’aspect que devait présenter, il y a environ un siècle, avant que le cosmopolitisme moderne eût détruit la variété et la poésie des costumes, cette spirituelle ville de Marseille dont elle a gardé l’accent ineffaçable. Sur le port, mêlés à la population provençale, se promènent, comme de vivans échantillons de toutes les races méridionales, de riches marchands génois, des Espagnoles en mantille, des Mexicains et des créoles au teint bronzé, des marins grecs et même quelques Turcs en turban ; maison n’y aperçoit pas d’échantillons de la race blonde, ou si par hasard il s’en rencontre, ils restent à l’écart et ne se confondent pas avec cette population brune dont ils ne comprennent pas le langage et les turbulentes passions.

Le talent de Mme Reybaud est donc plus compliqué qu’on ne pourrait le croire d’abord, car à l’art de conter elle joint la curiosité et l’intelligence. Aussi cet ancien roman qu’elle fait revivre a-t-il perdu sous sa plume ce ton monochrome, ou pour mieux dire cette pâleur qui le distinguait trop autrefois. De légères couches de couleur locale étendues çà et là lui font un fard agréable qui rehausse sa physionomie. La nouvelle littérature lui a aussi comme enseigné certaines inflexions de voix et certaines habiletés de diction qui rompent la monotonie de débit qui lui était trop habituelle. Enfin la curiosité moderne et le cosmopolitisme contemporain lui ont fourni une variété de sujets qui lui était inconnue autrefois. C’est toujours l’ancien roman, c’est-à-dire une histoire sans prétention philosophique ou politique, mais l’ancien roman arrange, embelli, composé selon les méthodes nouvelles et revêtu du costume du temps. Et non-seulement il porte notre costume, mais quelquefois même il fait des concessions à la mode régnante. Au début de sa carrière, Mme Reybaud ne craignit pas, je l’ai dit, de faire porter à ses premières œuvres quelques-uns des ornemens que l’école romantique avait alors mis en vogue, et vous retrouverez sans grands efforts la trace de cette influence dans le Château de Saint-Germain, Elys de Sault, Espagnoles et Françaises. Quoiqu’elle n’ait jamais affiché d’opinions politiques très marquées et qu’elle n’ait jamais fait de sa plume un instrument de prédication, cependant la plupart de ses