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traversant les âges, comme les poésies d’Homère, sans en ressentir l’atteinte, toujours jeune, toujours vivace, toujours pleine de sève. Plus on l’étudie et plus on y reconnaît le type d’une originalité puissante et spontanée, qui a tout puisé en elle-même, sans rien emprunter au dehors. De là naît cette sublime harmonie qu’il n’est donné de rencontrer qu’en Orient : hommes et choses, monumens et paysages sont dans un accord parfait, que n’ont pu troubler les invasions des conquérans. Ils se sont succédé sur cette terre ; mais, aussi loin qu’on peut s’enfoncer dans les profondeurs de l’antiquité, on voit que les vainqueurs se sont assimilés aux vaincus, au lieu de leur imposer leurs goûts, leurs mœurs et leurs idées[1].

On sait, d’après les auteurs arabes et persans, que les grandes manufactures d’étoffes de l’Asie joignaient à la beauté des dessins et des couleurs l’intérêt des scènes de la vie musulmane, et représentaient des chasses, des fêtes, des concerts, des danses d’aimées, des combats et des festins. Makrizy raconte que la garde turque, s’étant révoltée, l’an 460 de l’hégire, contre le calife El-Moustanzer-Billah, mit au pillage son palais, et y trouva, parmi les tapis de soie et d’or de toute grandeur et de toute couleur, mille pièces d’étoffes qui présentaient la suite des différentes dynasties arabes, avec les portraits des rois et des hommes célèbres. Au-dessus de chaque figure étaient écrits le nom du personnage, le nombre d’années qu’il avait vécu, ainsi que les actions remarquables de sa vie. Les tentes du calife, les pavillons et les vastes salles de son palais étaient parés d’étoffes d’or, de velours et de satin, dont quelques-unes offraient, soit tissées, soit peintes, des figures d’hommes, d’éléphans, de lions, de chevaux et d’animaux de toute espèce. La plus riche et la plus curieuse de toutes les tentes de ce calife était celle connue sous le nom de la Grande-Rotonde. Il fallait cent chameaux pour porter les diverses parties de ce merveilleux édifice, avec les cordes, les meubles et tous les ustensiles qui formaient les accessoires ; les parois de ce palais d’étoffe étaient couvertes de figures d’animaux et de peintures de la plus grande beauté. Cette rotonde, fabriquée vers la seconde moitié du Xe siècle, avait cinq ; cents coudées de circonférence, et la confection en avait occupé, pendant neuf années consécutives, cent cinquante ouvriers.

Dans les archives du moyen âge, dans les comptes des trésors royaux comme dans ceux des églises, on trouve souvent ces expressions :

  1. Le sire de Joinville, dans son Histoire de saint Louis, dit qu’il se tenait à Jérusalem, dès le temps d’Haraoun, des foires où tout l’Orient envoyait ses marchandises, que souvent les croisés dépouillèrent les caravanes chargées d’étoffes de soie et de pourpre, de draps d’or, de coussins de soie habilement brodés à l’aiguille et de tentes d’un grand prix, qu’ils rapportèrent dans leur pays.