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les moines tissaient des étoffes ornées de fleurs et d’animaux. Les moines historiens des XIe et XIIe siècles s’accordent tous pour vanter la beauté des tapis et des étoffes dont les abbés paraient leurs églises. En 1060, Gervin, abbé de Saint-Riquier, fit faire des tapisseries magnifiques par la manufacture qui, depuis trente-cinq ans, existait à Poitiers[1]. À cette époque, les abbés étudiaient tout, les sciences aussi bien que les métiers, et plusieurs ont laissé un nom célèbre dans les arts. Saint Bernard, évêque de Hildesheim, Adélard II, abbé de Saint-Front en 1055, Herbert, moine de Reims, ainsi que Roger, l’abbé Quiney et tant d’autres, étaient peintres de manuscrits et de vitraux, architectes ou sculpteurs. La plupart suivirent la croisade, et par leurs rapports avec les couvens de terre sainte furent à même d’apprendre les secrets des arts et métiers. Miniatures de livres, dessins d’étoffes, de mosaïques et de fresques, modèles d’architecture, sciences de toute espèce, ont été conquis, conservés et développés par ces chercheurs d’or du moyen âge. Les toiles imprimées de la Perse et de l’Inde nous servirent de modèle pour dessiner et peindre nos tissus au moyen de bois gravés et imprégnés de couleur. Les plus anciennes publications sur l’art du teinturier ne laissent aucun doute à cet égard. Aussi, dès cette époque, essayait-on déjà de rivaliser avec l’Orient, car on trouve dans l’histoire des moines de Saint-Florent que le prince Jean, prisonnier des Turcs en 1396, donna entre autres choses au sultan Bajazid, pour payer sa rançon, une pièce de tapisserie de haute lisse, exécutée à Arras et représentant une des batailles d’Alexandre. Cette fabrique d’Arras existait au XIIe siècle et luttait avec celle de Saumur, son aînée. Ces draps de haute lisse, fabriqués à l’instar de ceux de Byzance et de Perse, étaient toutefois d’une infériorité marquée, et nos rois estimaient surtout ceux qu’ils recevaient d’Orient.

L’industrie flamande, stimulée par le patronage des luxueux ducs de Bourgogne, ces Orientaux de l’Europe, écrasa les autres fabriques françaises par sa supériorité. Arras devint le centre principal des manufactures de tapis. Aussi le nom de cette ville est-il resté à toutes ces tapisseries des XVe et XVIe siècles. En Italie, en Angleterre et en Allemagne, on les nomme encore arazzi, lors même qu’elles sont de Valenciennes, d’Audenarde. de Liège ou de Bruxelles. François Ier, à son retour d’Italie, fit venir de Florence, de Gênes et aussi des Flandres, des ouvriers qui, payés à la journée, recevaient les laines, les soies, les fils d’or et d’argent, les aiguilles et les métiers nécessaires au façonnage des grandes tapisseries. Cette première manufacture, établie, comme nous l’avons vu, à Fontainebleau, fabriquait

  1. Lettre de Guillaume, comte de Poitiers, à l’évêque de Verceil.