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Le reproche que nous faisons aux procédés de teinture, nous l’adressons aussi aux peintres, qui se servent intrépidement de ces couleurs sans se douter qu’elles sont mortelles pour le coloris. Suivant nous, la palette des peintres, beaucoup trop compliquée et surtout mal composée, est à refaire, à étudier de nouveau. De là vient ce manque d’ensemble qu’on remarque dans le coloris moderne, et qui ne se trouvait pas dans la peinture traditionnelle ; alors la palette, limitée aux couleurs-mères, était la même pour tous.

On regarde comme un grand progrès à la manufacture des Gobelins l’amélioration apportée récemment aux couleurs dites rabattues. Au lieu de ternir les douleurs avec la composition appelée rabat, composition qui ressemble à de l’encre, on se sert aujourd’hui de couleurs bon teint qui sont complémentaires ; on fait par exemple le rabat noir avec de l’indigo et de l’ocre rouge, et ainsi de suite. C’est un progrès sans doute ; mais encore une fois ces teintes grises, ajoutées aux couleurs franches, jouent un rôle funeste dans la coloration des étoffes. Dans ce genre de décors, porcelaines ou tapisseries, les tons ne doivent être rabattus que par des couleurs franches d’une nuance plus haute ou plus basse. Ainsi le point essentiel, la condition indispensable pour faire de la couleur lumineuse et non pas de l’obscurité, c’est de rejeter absolument ces mélanges complémentaires qui donnent à l’ensemble un aspect triste et confus.

Le principe inverse, celui du contraste des couleurs, n’est pas moins important. Lorsque deux couleurs juxtaposées sont à des tons différens d’intensité, celle qui est plus foncée le paraît plus encore, et la couleur claire semble, de son côté, plus claire qu’elle n’est en réalité. Pour contre-balancer, pour équilibrer ces différences, il suffit d’ôter à chacune de ces couleurs son uniformité, sa monotonie, c’est-à-dire de lui donner plusieurs notes dans le même ton. Si c’est du rouge par exemple, que ce rouge soit à deux, trois ou quatre degrés d’intensité ; dès lors il s’harmonisera toujours avec la couleur voisine, pourvu que celle-ci se comporte d’après le même principe.

Le directeur des teintures aux Gobelins, le savant M. Chevreul, a eu l’idée, cherchée depuis longtemps avec plus ou moins de succès, de faire pour la couleur ce qui a été fait pour la musique, une gamme d’harmonie, des tons servant de points de repère pour diviser ensuite en demi-tons, quarts de ton ; mais la musique, cette expression déjà si haute de la poésie, est moins vague peut-être et plus facile à fixer que la couleur. Tracer à celle-ci des règles propres à obtenir des effets exactement définis nous semble bien difficile, et on ne pourra jamais, en tout cas, remplacer l’action libre de l’instinct. Ce qu’il faut pour la direction des teintures et le choix des accords, c’est un coloriste inné. Les dix cercles chromatiques de