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des ondes lumineuses, tout comme le son produit des ondes sonores. Euler compare le soleil à une cloche immense dont les mouvemens, transmis par l’éther, agissent sur le nerf optique de la même façon que les vibrations de l’air sur le nerf auditif. L’éther vibre aussi d’une façon très variable, et ce sont là les différences qui produisent sous nos yeux des effets si divers et si multipliés.

En variant le grain des tissus par divers procédés de fabrication, par des glaçures, des écrasemens ou des redressemens en sens inverse, on obtient ces effets de moiré, de velouté ou de satiné, et tant d’autres reflets et jeux de lumière auxquels on ne réfléchit pas, et qui cependant modifient absolument la couleur générale de l’étoffe. La tapisserie elle-même subit jusqu’à un certain point ces variations de couleurs ; comment alors avoir la prétention ridicule de reproduire des peintures à l’huile avec de semblables matériaux ? Si à ces obstacles vous ajoutez le soin d’un choix tout spécial et brin à brin des laines et des soies, puis la nécessité de les teindre exprès pour certains tableaux, afin d’arriver à l’exacte imitation d’une vieille peinture, alors vous comprendrez comment on est conduit à des dépenses qui dépassent toute raison.

Lorsqu’on est du métier et qu’on sait avec quelle peine, au moyen de toutes les ressources de la peinture, on parvient à donner un aspect de vie à la tête qu’on cherche à reproduire, on se demande comment on a songé à faire de la peinture sérieuse avec ce procédé mécanique, ce travail fait à l’envers, aveuglément et sans que l’inspiration, l’élan ou l’imagination y puisse avoir la moindre part. Ah ! si l’on nous offre simplement un spécimen d’adresse et de difficulté vaincue, rien de mieux : nous faisons accueil à l’exception, coûtât-elle 100,000 francs et dût-elle être mangée aux vers l’année suivante ; mais que l’exception soit le but unique d’une fabrique ou pour mieux dire de plusieurs fabriques, voilà ce qu’il faut blâmer sévèrement, car cette fausse direction a entraîné à sa suite toute la peinture des étoffes. Nous ne demandons pas pour cela qu’on supprime dans les tapisseries de tentures la représentation humaine et qu’on ne fasse que des fleurs et des arabesques. Les belles tapisseries assyriennes, byzantines, sassanides et européennes à certaines époques composaient des scènes de personnages traitées uniquement pour un but décoratif. Et c’étaient là, comme dans les vitraux des premiers temps, de belles pages où la couleur s’étalait aux yeux dans toute sa pompe.

Afin de ne pas être accusé d’injustice, expliquons bien notre pensée, car nous luttons ici contre l’admiration qu’excite chez la foule la peinture en tapisserie. Nous voulons surtout faire ressortir l’idée fausse qui préside à la fabrication des tissus en général, lors même