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pas seulement de la part du gouvernement impérial une singulière indifférence pour ces provinces lointaines : il est évident que cette indifférence accuse une profonde ignorance des faits. Telle est du moins la conclusion que ne craint pas de formuler un observateur très savant, très scrupuleux, et qu’on ne saurait suspecter de malveillance envers l’Autriche, M. le baron Edmond de Berg, membre du conseil supérieur des eaux et forêts dans le royaume de Saxe. M. de Berg vient de parcourir la Galicie, le Banat, la Voyvodie, les confins militaires, avec la clairvoyance d’un esprit pratique et le patriotisme d’un tory allemand, pour lequel la vieille monarchie des Habsbourg est toujours le centre de la patrie commune. En pareille matière assurément, si un témoin a le droit d’être écouté avec attention, c’est celui-là. Intelligence rompue aux affaires, administrateur instruit et expérimenté, M. de Berg sait voir les choses avec précision et raconter franchement ce qu’il a vu. Que d’autres prennent plaisir à dénoncer les misères de l’Autriche afin d’augmenter ses embarras ! Quant à lui, l’enquête qu’il vient de faire n’est pas celle d’un ennemi, et il peut écrire ces paroles aux dernières lignes de son livre : « C’est un loyal et chaleureux dévouement à l’Autriche qui m’a déterminé à publier ces pages. Puisse l’Autriche le reconnaître, et que nul ne vienne me jeter la pierre, parce qu’une amère écorce enveloppe ici le fruit de la vérité ! »

On ne trouvera pas dans l’ouvrage de M. le baron de Berg la description complète des pays qu’il a visités. Bien que l’auteur paraisse sentir vivement les beautés d’une nature originale, il ne sait pas rendre ses impressions en artiste, et ne se mêle pas de tracer des paysages. Les églises, les musées, les théâtres, tout ce qui prête aux peintures et aux dissertations des touristes, il l’abandonne à de plus habiles ; en revanche, il conduira son lecteur là où les habiles ne se soucient guère de pénétrer. Son but est de connaître les véritables ressources du pays et la vie réelle des habitans. Pour cela, il faut quitter souvent les villes, s’éloigner des grandes routes, renoncer aux commodes berlines des chemins de fer ; il faut se résigner à de longues courses à pied ou à cheval, s’engager dans les montagnes, coucher souvent sur la dure, partager la nourriture malsaine de l’habitant des marais, affronter enfin toute sorte de fatigues et de périls dont nos faciles voyages d’aujourd’hui nous ont à peu près déshabitués. Mais aussi que d’intéressantes découvertes ! À ce prix-là seulement, on peut conquérir la vérité, et s’il s’agit surtout de provinces abandonnées à un régime funeste, s’il s’agit de contrées lointaines, mal surveillées, à peine connues, où des fonctionnaires infidèles aient intérêt à masquer au voyageur le véritable aspect des choses, quel autre moyen pour un observateur sérieux