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ligion. Qu’est-ce que la religion dans ce qui fait son essence ? — La foi à un premier principe profondément distinct de tout ce qui passe, la foi à une cité céleste, origine, modèle et fin de la cité d’ici-bas. — Or c’est précisément ce que la philosophie vient d’enseigner à l’auteur. Après cette longue critique des systèmes qui ont agité le monde, après cette lutte ardente contre les difficultés sans cesse renaissantes que nous oppose la recherche des causes premières, nous sommes arrivés sur les hauteurs d’où nous apercevons la conformité de la philosophie et de la religion. Seulement il ne s’agit ici que de la religion en général, de la religion considérée dans ses élémens primordiaux, et non de telle ou telle croyance positive et précise. « Est-ce à dire, se demande M. Saisset, que tous les cultes aient le même sens et la même valeur morale ? Non certes, et les symboles religieux qui ont entouré et protégé mes premières années ont laissé dans mon âme une impression trop vive de leur pureté singulière et de leur incomparable sublimité pour que je les égale à ceux d’aucun autre temps ni d’aucun autre pays. » Philosophe et s’adressant à des philosophes ennemis qu’il combat avec leurs propres armes, l’auteur a craint de quitter le domaine de la science : de là sa discrétion et sa réserve quand il parle du christianisme. Il nous semble pourtant qu’une âme aussi élevée que la sienne, un métaphysicien aussi assuré de ses principes aurait pu faire un pas de plus dans les voies qu’il a ouvertes. L’auteur de l’Essai de Philosophie religieuse sait mieux que personne que la religion indéterminée n’est pas la religion vraie, pas plus que le Dieu indéterminé des spinozistes n’est le véritable Dieu. Qui a prouvé ces vérités avec plus de vigueur que lui ? Qui a démontré plus victorieusement que toute détermination, loin d’être une privation de l’être, est au contraire un accroissement de force et de vie ? Les objections des panthéistes contre le Dieu personnel qu’adore le genre humain sont les mêmes qu’on oppose à la religion révélée ; les mêmes argumens doivent servir à repousser les unes et les autres. Je lis ces mots dans la réfutation de Spinoza par M. Saisset : « Quel est l’être le moins réel, l’être le moins être pour ainsi dire ? C’est l’être le plus indéterminé, et par conséquent quel est l’être le plus réel, le plus être, le plus parfait ? C’est l’être le plus déterminé. » Ces principes simples et profonds que M. Saisset applique si heureusement à la théodicée, appliquez-les à la théorie des religions, et vous verrez quelle lumière nouvelle en jaillira. Ce n’est donc pas au nom des souvenirs de l’enfance, c’est au nom de la raison, au nom de la dialectique la plus solide qu’il faut proclamer la supériorité du christianisme, non-seulement sur toutes les religions humaines, mais sur cette religion indéterminée que la philosophie toute seule nous enseigne. Qu’importe pourtant cette