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d’émancipation universelle, pour opposer aux doctrines révolutionnaires régnantes un idéal catholique inattendu. Et pour entrer tout de suite dans leur rôle de confesseurs de la foi nouvelle, ces jeunes néophytes, disciples de Lamennais, coopérateurs du journal l’Avenir, se firent maîtres d’école ; ils prirent ce nom d’une simplicité pleine d’orgueil. Dans une petite chambre de la rue des Beaux-Arts, ils ouvrirent une école gratuité où ils rassemblèrent quelques enfans, se mettant en révolte contre l’Université, exclusivement investie jusque-là du droit d’enseigner, contre les lois et les décrets que les pouvoirs nouveaux ne se hâtaient pas d’abroger. Lear ambition était d’opposer une instruction catholique et libre à l’instruction universitaire, qu’ils signalaient comme une œuvre d’impiété, de corruption et de despotisme. Le commissaire de police survint, l’école fut dispersée après deux jours d’existence, et ces instituteurs d’une nouvelle espèce étaient tout près de paraître en délinquans devant un simple tribunal correctionnel, lorsque par la mort de son père l’un de ces jeunes accusés devenait à l’improviste comme un personnage de l’état, un pair de France. C’était le dernier-né de la pairie héréditaire, qui allait être brisée. La cause se trouvait ainsi renvoyée devant la plus haute juridiction, ayant pour défenseurs ce nouveau pair de vingt ans, M. le comte Charles de Montalembert lui-même, et son compagnon de guerre, M. l’abbé Lacordaire. M. de Montalembert, pour ne parler que de lui, entrait, à vrai dire, dans la vie politique par la porte dorée, — transformé en personnage public avant d’avoir vécu, ayant le privilège de fixer sur lui tous les regards avant d’avoir rien fait, se croyant peut-être presque un martyr parce qu’il avait l’occasion de faire retentir sa jeune éloquence devant une chambre des pairs toute prête à applaudir l’accusé, et s’avançant entre ces deux illustres clientes qu’il couvrait de son expérience de vingt ans, la religion et la liberté.

Ce n’est pas seulement pour raviver le souvenir du lendemain d’une révolution effacée par d’autres révolutions que je rappelle cet épisode. C’est l’entrée en scène d’un homme fait pour la lutte et qui a vécu par la lutte, d’un homme qui a pu dire en un jour de trêve, sans se repentir et surtout sans promettre de désarmer : « J’ai fait la guerre et je l’ai aimée. » Ce discours même, par lequel M. de Montalembert commençait devant la chambre des pairs une carrière où tout prend naturellement l’allure oratoire, le peint déjà tout entier. Ce jeune homme, qui peut inscrire aujourd’hui au frontispice de ce qu’il appelle ses œuvres ce mot caractéristique : Qualis ab incœpto ! ce jeune homme a déjà l’imperturbable assurance, l’âpreté au combat, l’emportement de la passion, le trait mordant, le dédain de ses adversaires et je ne sais quelle aisance dans l’invective qui