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combat. Et ces œuvres elles-mêmes rassemblées aujourd’hui, que sont-elles ? Ce sont moins des œuvres que des documens pour servir à l’histoire d’un esprit plein de feu. Elles sont comme un miroir brisé où se reflète encore une des physionomies les plus originales de ce temps.

L’originalité réelle de M. de Montalembert dans cette vie publique de trente ans, où il a figuré toujours en acteur intrépide, c’est d’avoir été, comme orateur, le leader du catholicisme transformé en parti, d’avoir pris cette grande religion politiquement humiliée et vaincue au lendemain de la révolution de 1830 pour la ramener aux luttes du siècle, pour la faire entrer avec lui dans les conseils parlementaires ouverts à son adolescence ; c’est d’avoir été le promoteur étincelant de verve de cette alliance nécessaire et pourtant toujours fuyante de la religion et de la liberté, de cette coexistence indépendante des pouvoirs formulée depuis dans un mot devenu fameux : « L’église libre dans l’état libre. » Ce rôle lui était inspiré par sa croyance de chrétien ; il s’offrait à lui, si l’on veut, par un mouvement intérieur de réaction contre les insultes dont il avait vu sa foi assaillie dans une heure d’égarement. « Si l’on me demandait, disait-il plus tard devant la chambre des pairs, à quelle occasion se sont ancrées dans mon âme ces convictions, je dirais que ce fut en ce jour où, il y a quatorze ans, je vis la croix arrachée du fronton des églises de Paris, traînée dans les rues et précipitée dans la Seine aux applaudissemens d’une foule égarée. Cette croix profanée, je la ramassai dans mon cœur, et je jurai de la servir et de la défendre. » Ce rôle tout d’inspiration allait aussi merveilleusement à ses instincts de gentilhomme, à sa nature impatiente d’agir et rebelle aux jougs vulgaires. En le plaçant dans une position exceptionnelle, en dehors et au-dessus des combinaisons, des coalitions et des manœuvres de la simple politique, il lui donnait une grande prise sur les faiblesses du temps. Il lui assurait le double avantage de paraître plus libéral que ceux qui avaient cru faire une révolution au nom de la liberté, et de s’armer de la plus grande force morale qui gouverne les hommes, d’être plus conservateur que les conservateurs politiques. Accusé la veille pour avoir voulu être maître d’école malgré les constitutions universitaires, M. de Montalembert entrait dans cette carrière avec la fougue d’une âme formée aux brûlantes polémiques du journal l’Avenir, d’un esprit qui, même après avoir refusé de suivre Lamennais jusque dans ses scissions avec Rome, a gardé toujours la marque de ces impressions premières, et il faut se rappeler le temps, les choses et les hommes pour se faire encore une idée de ce qu’il a pu y avoir d’étrangement original à un certain moment dans cette verdeur de jeunesse se produisant au sein d’une assemblée grave