Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/991

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de leader du catholicisme, ne laissant jamais tomber le combat, ne négligeant aucun moyen d’action, prodiguant la passion hautaine et la verve incisive, défendant l’église sans doute, mais invoquant surtout la charte, le droit commun, la liberté, et agrandissant chaque jour sa position par des incursions dans la politique générale, par les saillies d’un vif sentiment patriotique toutes les fois que s’élevaient des questions d’honneur ou d’intérêt national.

Je ne veux pas suivre M. de Montalembert dans les accidens multipliés de cette vie laborieuse et émouvante de parlement dont il subit l’attrait vainqueur, et où la défaite n’est rien pour lui tant qu’il garde l’espoir de combattre encore par la parole. Ce leader catholique, comme je l’appelais, a connu tous les enivremens de la lutte ; il a succombé au piège des thèses absolues, des injustices faciles, et plus d’une fois il a compromis par les excès d’une tactique passionnée la cause qu’il voulait servir. Faire notamment du catholicisme un parti, c’était peut-être bien le diminuer ; c’était l’exposer aux scissions, aux déchiremens, aux chocs d’influences, à la variable fortune de tous les partis politiques. Il y avait dans cette tentative ce que M. Dupanloup, censurant l’Univers, a un jour appelé l’idée presbytérienne d’un gouvernement laïque de l’église à côté du vrai gouvernement de l’épiscopat. L’auteur des Moines d’Occident avoue aujourd’hui quelques-unes de ses erreurs du temps passé avec une candeur d’athlète vaincu qui ne demande pas mieux que de reporter ses coups sur d’autres ennemis et même sur quelques-uns de ses anciens amis. Et pourtant dans cette succession de discours où tant d’autres questions supérieures viennent se grouper autour de la question religieuse elle-même, à considérer cet ensemble animé de vues et d’idées que le geste achevait autrefois, n’est-il pas plus d’un point où l’orateur catholique a eu raison, a moralement vaincu en quelque sorte ? M. de Montalembert était dur pour la politique extérieure de la monarchie de 1830, témoin le jour où, après avoir rappelé le mot de Louis XIV disant que le roi d’Angleterre et son chancelier connaissaient ses forces, mais ne connaissaient pas son cœur, il ajoutait en s’adressant au gouvernement : « Aujourd’hui c’est tout le contraire. Le roi d’Angleterre et son chancelier ou ceux qui le représentent dans le monde ne connaissent pas nos forces ; ils ne savent pas tout ce qu’il y a encore d’énergie, de vigueur dans cette nation mécontente, ils ne savent pas tout ce que l’union des partis et des colères refoulées produira dans ce pays, quand il aura cessé de subir l’influence du narcotique que vous lui administrez ; mais ce qu’ils connaissent trop bien, c’est le cœur de ceux qui nous gouvernent : c’est là le secret de leur force et le secret de notre faiblesse. » Dans cette dureté même cependant, il y avait un fier sentiment de patriotisme.