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gens de boutique et d’atelier ; elle va bien au-delà : elle implique le droit de former à volonté des compagnies industrielles, d’ériger des banques, de négocier en grand sans l’intermédiaire des agens officiels, de faire sans entraves le commerce maritime, de pratiquer à volonté tous les genres de spéculation monopolisés autrefois.

Cet affranchissement presque absolu de l’industrie coïncidait avec l’abolition des servitudes rurales, avec cette vente des biens nationaux qui avait dans la pratique la portée d’une loi agraire. L’activité nationale se précipita par toutes les issues qu’on lui ouvrait avec une force, d’expansion extraordinaire. Les symptômes de la prospérité commerciale se manifestèrent instantanément. Le chiffre des échanges avec l’étranger dépassa en 1792 celui des années les plus favorables. Chacun voulait exercer ses aptitudes dans la profession de son choix. Plusieurs grandes banques commencèrent à émettre des papiers de crédit fort bien accueillis par le public. À la Bourse de Paris, il se faisait par jour pour plus de 40 millions d’affaires. Au commencement de 1793, je trouve 138 agens de change pour Paris, 117 commissaires-priseurs, 491 avoués auprès des divers tribunaux. La liberté de la presse, de l’enseignement et des théâtres donna un vif essor à toutes les professions qui se rattachent à la publicité, notamment à l’imprimerie. Nombre de gens autrefois déclassés cherchaient à travailler et trouvaient à vivre.

Malheureusement l’expérience de la liberté, à peine commencée, fut violemment suspendue. Le progrès économique exige du calme, et l’on entrait dans une période de convulsions et de déchiremens. Il n’y aura plus bientôt qu’une affaire pour la grande majorité des citoyens : la défense de la révolution contre les ennemis de l’intérieur et du dehors, à quelque prix que ce soit et par tous les moyens que peut suggérer l’énergie désespérée. On court au club, aux arsenaux patriotiques, dans les provinces insurgées, ; aux frontières, sans s’inquiéter si le champ va rester en friche, l’atelier désert, le professeur sans auditoire. La convention lance ses décrets comme on met le feu au canon, sans songer aux choses utiles qu’on risque d’abattre, mais en vue du mal qu’on peut faire à l’ennemi. En novembre 1792, elle interdit l’émission des billets payables à vue et au porteur, au risque de tuer les banques naissantes, parce qu’elle y voit une concurrence pour les assignats dont elle a besoin. Elle décrète les réquisitions et le maximum sans s’inquiéter de tuer le commerce, parce qu’elle ne veut pas que les armées soient paralysées, ni que le peuple, affamé systématiquement, maudisse la révolution. Si elle improvise un acte de navigation calqué sur celui de Cromwell, si elle empêche l’exportation des grains, si elle frappe de prohibition les produits anglais, ce n’est pas qu’elle méconnaisse