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sinon tous les métiers, au moins ceux auxquels on peut attacher quelque intérêt de police publique. Les compagnies limitées d’agens de change, de courtiers en marchandises, de commissaires priseurs, d’avoués, d’huissiers, prirent naissance à cette époque. La boulangerie, la boucherie, l’imprimerie, la librairie, les journaux, les entreprises théâtrales, cessèrent d’être des industries libres. L’enseignement et les travaux publics furent attribués à des corporations dépendantes de l’état.

Vers 1803, le ministre Frochot commença à consulter les chambres de commerce en matière de douane. Les chambres des grandes villes industrielles, sans alléguer les périls de la concurrence, mais sous l’influence des idées du temps, répondaient toujours en demandant par patriotisme des droits élevés, sinon des prohibitions. Entre toutes ces industries qui s’agitaient pour ressaisir des monopoles, aucune ne déploya autant d’adresse et de ténacité que la filature du coton : c’est par elle surtout que les prohibitions sont parvenues à s’épanouir chez nous à l’état de système. On pourrait supposer qu’en privilégiant l’industrie cotonnière, on avait dessein de faire éclore et de garantir contre des rivaux plus avancés un genre de fabrication nécessaire au bien-être du peuple. Il n’en était pas ainsi au commencement du siècle. Les cotonnades étaient alors considérées chez nous comme des tissus destinés aux gens riches, et nos fabriques ne paraissaient pas menacées par la concurrence extérieure. Si j’en juge au contraire par des pièces du temps que j’ai sous les yeux, ce serait le régime exceptionnel qui aurait donné une direction fausse au génie de nos manufacturiers et les aurait autorisés plus tard à réclamer une protection devenue nécessaire à certains égards.

Il y a une heure pour chaque progrès, et, quand l’idée est venue, il est rare qu’elle se trouve emprisonnée dans une seule tête : elle est plutôt diffuse et flottante dans beaucoup d’esprits. Pendant que l’Angleterre créait cette merveilleuse industrie qui est devenue un des principaux ressorts de sa puissance, la France n’était pas inactive. La filature à la mécanique, dont les premiers essais remontent chez nous à l’année 1780, avait été encouragée par le gouvernement de Louis XVI comme par la plupart des pouvoirs révolutionnaires, et à travers tant d’événemens qui s’emparaient de l’attention, elle avait accompli des perfectionnemens, peu remarqués peut-être chez nous, mais dont on s’inquiétait en Angleterre. Distancée quant à la quantité produite, elle aurait pu soutenir la lutte à l’égard des prix. En 1801, Pitt, qui prévoyait la guerre, proposa de taxer l’entrée du coton en laine à raison d’un penny par livre. L’industrie cotonnière s’émut aussitôt : elle décida qu’un mémoire serait adressé au mi-