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Mistress Tremlett au contraire inspirait un intérêt, un respect universels. Un fils leur était né dès la première année de leur mariage. Voilà tout ce que je savais d’eux, quand, il y a quatre ans, je reçus de mistress Tremlett, tracé à la hâte et daté d’un de nos villages côtiers les moins connus, un billet qui me mandait auprès d’elle dans les termes les plus pressans et en même temps les plus ambigus. Moins il était explicite, moins il me laissait de liberté. Je partis donc, et je fis bien, comme vous allez voir ; mais avant de m’embarquer j’allai aux renseignemens. On m’apprit que Tremlett avait perdu son père, et qu’au grand étonnement de bien des gens, il avait mis presque immédiatement en vente le domaine de famille. Un domaine substitué, la chose était singulière. Au surplus, la vente ne s’était pas consommée ; mais Tremlett avait loué le château, vendu les équipages, et fait argent de toute main, ce qu’on attribuait à quelque fausse spéculation dans l’industrie minière. Je n’en savais pas davantage quand je me mis en route.

Dès mon arrivée à B…, la triste vérité ne tarda point à m’être révélée. Marian m’avait averti dans son billet qu’il ne fallait pas me présenter chez elle avant que, prévenue de ma présence, elle ne m’eût donné le signal. Installé dans la maison même qu’elle habitait, — c’était la seule où un citadin pût loger, — je la vis, caché derrière mes volets à peine entr’ouverts, descendre sur la route avec son mari et son enfant. La démarche hésitante de Tremlett, son costume négligé, son chapeau rabattu sur ses yeux hagards, me causèrent une impression pénible. Le souvenir de sa mère me revint à l’esprit. Il marchait, sans regarder si on le suivait, dans la direction du rivage. L’enfant voulait l’accompagner, mais Marian s’y opposa doucement. — Nous allons trop loin pour le baby, lui disait-elle en le caressant avant de le remettre à sa bonne. — Puis elle se hâta de rejoindre son mari sans que j’eusse pu tenter ou de descendre auprès d’elle, ou même de lui montrer mon visage.

Je pris le parti de les suivre de loin, et en demeurant hors de vue, autant que faire se pouvait, derrière les rochers de la baie. Je les surveillais d’ailleurs à l’aide d’une lunette de poche que j’avais heureusement emportée. Aussi longtemps que Tremlett fut à une certaine distance du village et put se croire guetté par quelqu’un des habitans, je ne remarquai rien d’extraordinaire dans ses allures ; mais elles changèrent dès qu’il put penser que sa femme et lui se trouvaient en pleine solitude. D’un geste impérieux, il sembla lui commander de marcher devant lui. Elle obéit sans hésiter un instant. Quelques momens après, son pied venant à trébucher sur quelqu’une des roches inégales qu’ils gravissaient, elle tomba sans qu’il daignât lui tendre la main pour l’aider à se relever. Il la regardait simplement, et quand il la vit debout, il lui fit signe d’avancer.