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Olympe a tant de majesté, le ciel de l’île est si transparent, et la mer reflète avec tant de grâce son image dans ses ondes calmes et pures ! À tant de charmes se joignit la mollesse que l’opulence produit trop souvent. La fécondité du sol favorisa l’indolence des habitans ; ils n’eurent pas l’occasion d’endurcir leurs corps à la chasse des bêtes fauves ; la chaleur du climat et les fièvres elles-mêmes les jetèrent dans une douce langueur. Ce n’est donc pas sans raison que Chypre fut choisie entre tous les pays de l’ancien monde pour être consacrée à la déesse de la volupté. Elle possédait les élémens qui forment un peuple puissant, et sa position aurait dû lui donner un grand rôle politique dans les temps anciens. Cependant à aucune époque elle n’est devenue un important état, et on la vit accepter successivement tous les jougs des nations étrangères. À la gloire elle préféra le plaisir. Vénus était tout pour elle.

Quel sera le sort de cette île ? Sa position géographique n’a plus la même valeur, car la civilisation s’est déplacée ; elle siège en Occident, tandis qu’autrefois on pouvait considérer Chypre comme le centre des régions les plus prospères. L’exploitation des mines, anciennement source de grandes richesses, ne pourrait être reprise avec avantage. Ainsi Chypre est dans des conditions moins bonnes que dans les temps anciens. Cependant c’est encore incontestablement un des pays les plus favorisés de l’Orient. Les routes seraient facilement rétablies, car il en reste des traces, et on a vu que nulle contrée n’offre des voies de communication plus faciles. On devrait empêcher le déboisement des montagnes, multiplier et réparer les rigoles destinées à l’arrosement des campagnes. Jusqu’ici les Cypriotes ont été laissés à eux-mêmes, sans exemple venu d’Europe, sans encouragement. Les musulmans sont peu favorables aux progrès : le dogme si consolant de l’intervention de la Providence, poussé chez eux à l’excès, devient un fatalisme ennemi de toute initiative. Aussi les grands progrès accomplis en Orient ont été l’œuvre des Européens, et, nous pouvons le dire avec orgueil, l’œuvre surtout des Français. Les Français appelés par le génie de Méhémet-Ali ont transformé le Caire et Alexandrie. Dans le Liban, nos missionnaires et nos sériciculteurs ont changé l’aspect des pays qu’ils habitent. Aidée par la France, la Grèce a été rendue à la liberté ; chaque jour, prenant nos institutions, elle grandit, et par l’extension de son influence intellectuelle elle prépare celle de sa puissance politique. Puissent un jour de courageux enfans de la France aller aussi planter en Chypre leur tente, et montrer sur cette terre des voluptés antiques ce que peut le génie actif des temps modernes !


ALBERT GAUDRY.