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d’émerveillement et de se proclamer les promoteurs d’une vie nouvelle dans les arts de l’esprit !

La ville d’Anvers a eu aussi sa fête municipale, une exposition des arts et de l’industrie où la musique a joué un très grand rôle. Nous y étions convié, et il nous en a coûté de ne pouvoir répondre à la gracieuse hospitalité qui nous était offerte par un amateur distingué de cette ville, où les arts sont cultivés avec tant de passion et de succès. À Riga, à Nuremberg, à Bruxelles, à Strasbourg, dans l’ouest de la France, on a donné des fêtes musicales très brillantes qu’on ne doit pas passer sous silence. Je ne parle ni des deux grandes séances de l’Orphéon de la ville de Paris, ni des vaudevilles et des opérettes qu’on représente à Bade, ce rendez-vous de tous les virtuoses en disponibilité et des compositeurs qui cherchent un public. Ce qui est certain, c’est que la musique court le monde, et qu’on ne peut plus faire un pas sans se heurter contre un pianiste de premier ordre ou un compositeur éminent, comme disent plaisamment les petits et grands journaux. Aussi est-ce parce que nous sommes si riches que notre fille est muette !

L’Opéra, où les projets d’embellissement et de grandeur future ne manquent pas, a passé tout l’été, non pas à chanter comme la cigale, mais à danser aux sons de la musette de M. Offenbach. Deux ballets, accompagnés d’un acte du Comte Ory ou de Lucie, n’ont cessé d’y attirer cette foule ahurie qu’amènent à Paris chaque jour les chemins de fer. Pourquoi les théâtres se donneraient-ils la peine d’inventer des pièces nouvelles et intéressantes, des plaisirs délicats, et pourquoi l’Opéra s’inquiéterait-il de changer un répertoire usé jusqu’à la corde ? Le public, cet être multiple et divers, n’existe plus ; il n’y a dans les théâtres que des spectateurs réunis par la main du hasard, et qui n’ont ni le temps, ni la patience, ni le goût de désapprouver quoi que ce soit. Ils entendent M. Gueymard, Mme Tedesco, chanter ou crier la musique du Prophète, de Robert et des Huguenots, et ils s’en retournent sans oser s’avouer à eux-mêmes que l’Opéra de Paris n’est pas le premier théâtre du monde. Je vous le dis en vérité, il faut être sourd et aveugle pour ne pas convenir que nous vivons en un temps fertile en merveilles d’art. Mme Viardot cependant a fini par convaincre l’administration de l’Opéra que son beau talent pouvait encore rendre quelques services. Elle a donc fait sa rentrée, comme on dit, dans le rôle de Fidès du Prophète, qu’elle avait vraiment créé dans l’origine avec une supériorité incontestable. Mme Viardot est peut-être la seule cantatrice de ce temps-ci à qui on puisse beaucoup pardonner, parce qu’elle a beaucoup aimé et qu’elle aime toujours l’art élevé qui vise aux nobles émotions.

Tout récemment on a repris à ce grand théâtre l’ouvrage de M. le prince Poniatowski, Pierre de Médicis, pour, les débuts de M. Faure, qui a quitté une chaumière, où il était heureux et considéré, pour un palais où il n’est pas certain qu’il puisse rester longtemps. L’opéra de M. Poniatowski et de ses collaborateurs n’a pas gagné en saveur depuis l’année dernière. C’est une bien faible musique, inspirée par un bien triste scenario. Ce que c’est que de nous et des œuvres de ce temps de progrès au bout de quelques mois de réflexion ! Le public lui-même paraissait étonné, l’autre soir, de la complexion