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pécuniaires. C’est même un adage parmi les jockeys qu’il y a plus d’art à perdre habilement une course avec un bon cheval qu’à la gagner dans les mêmes conditions. Ces faits sont heureusement assez rares ; autrement la noble institution du turf, comme disent nos voisins, ne tarderait point à tomber dans le mépris.

Il y a des jockeys qui se maintiennent sur le terrain des courses jusqu’à cinquante ans ; la plupart d’entre eux néanmoins meurent ou se retirent avec l’âge mûr. En somme, la classe des jockeys ne vit pas longtemps ; cela tient sans doute aux efforts désespérés qu’ils déploient sur le turf, au régime qu’ils suivent, et peut-être aux excès combinés avec certaines privations volontaires. Que font-ils cependant quand ils sont vieux ? Quelques-uns deviennent trainers, d’autres utilisent leur argent dans des travaux agricoles, des fermes ou des entreprises de sport conduites sur une petite échelle. Tant qu’ils sont au service, la loi du turf leur interdit de se mêler dans les transactions aléatoires qui circulent sur le marché à propos des chevaux ; mais je n’oserais point affirmer que tous se soumettent de bonne foi à cette défense, dont il est d’ailleurs facile d’apprécier la sagesse. « Le moyen de ne point se laisser un peu roussir, me disait l’un d’eux, quand on vit au milieu du feu ! » Non loin de Newmarket, je rencontrai un autre jockey qui, devenu trop pesant, a dit adieu au turf, où il figurait avec honneur, et qui vit maintenant à la campagne, au milieu de sa famille, dans une jolie propriété. « C’est égal, ajoute-t-il, le repos me tue, et chaque fois que je vois un cheval de course, mon cœur bondit comme si j’entendais encore le signal : Go ! Après tout, il faut se résigner, la vie ressemble au turf ; voici déjà longtemps que j’ai laissé derrière moi le starting post (poteau du départ) ; Dieu veuille que j’arrive sur mes deux jambes et sans trop faiblir au winning post (poteau de la victoire) ! » Cette dernière réflexion était évidemment inspirée par les idées religieuses qu’on retrouve plus ou moins en Angleterre, surtout à un certain âge, chez toutes les classes de la société.

On connaît maintenant la population active des courses ; au turf se rattachent en outre une foule d’existences parasites. C’est à Londres que nous trouverons le foyer des spéculations et des conjectures qui s’exercent, souvent une année d’avance, sur les événemens qui se préparent à Newmarket. Ce foyer est Tattersall’s.


III

Tout le monde à Londres connaît Tattersall’s, et pourtant il n’est guère d’endroit plus obscur ni plus difficile à découvrir pour un étranger. Vous pouvez passer cent fois devant le coin de Hyde-Park (Hyde-Park corner), laisser derrière vous la statue équestre