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conseil existe, c’est le Jockey-Club. Il représente en quelque sorte la chambre des communes dans la constitution du sport ; de son sein émanent les motions d’ordre, les lois et les réformes qui intéressent le monde des amateurs de chevaux. Cette assemblée est en même temps un tribunal, une sorte de grand sanhédrin auquel on défère toutes les disputes qui peuvent s’élever sur le turf ; ses jugemens sont sans appel. Le Jockey-Club se compose de soixante nobles et gentlemen dont le caractère est honoré. Ce tribunal a eu quelquefois à juger des fraudes commises dans les courses : il serait trop long de s’étendre sur ce côté de la question ; mais il est un fait que je ne saurais passer sous silence, tant il souleva de bruit en Angleterre. Aux courses d’Epsom, en 1844, un cheval faussement désigné sous le nom de Running-Rain (la pluie qui court) gagna le grand prix du Derby. Après une enquête, il fut reconnu qu’il y avait eu substitution de personne ; le faux Running-Rain n’était autre qu’un nommé Maccabeus, un cheval de quatre ans qu’on avait peint pour la circonstance, et qui, ayant une année de plus que les autres chevaux légalement engagés dans la course, se trouvait posséder sur eux un grand avantage. Cet intrigant ayant été démasqué, le prix fut conféré, d’après la décision du Jockey-Club, au coursier qui était arrivé le second. Ainsi, pour cette fois du moins, le crime fut puni et l’innocence récompensée sur le turf.

L’institution des courses est, on l’a vu, mêlée de bien et de mal en Angleterre. Il serait inutile d’insister sur le côté immoral des transactions du turf, et je laisserai volontiers à d’autres le plaisir des déclamations faciles. Ce n’est pas aux Anglais qu’on apprendra la fragilité ou le caractère douteux de ces fortunes suspendues au galop d’un cheval. Ils connaissent en outre et déplorent tous les jours les dangers qu’entraîne la fureur croissante des paris, les inconvéniens qui en résultent pour le commerce et les perturbations que ces pertes de jeu introduisent sous le toit domestique. Ce n’est point eux non plus qui couperont une branche de divertissement entée sur l’amour-propre national par la seule raison que cette branche est chargée de parasites. Les Anglais ne s’attachent guère qu’aux résultats généraux ; beaucoup de grandes et belles choses dans leurs institutions s’appuient, ils le reconnaissent eux-mêmes, sur une infinité de détails contestables ou décidément mauvais. Que leur importe ? Logiciens d’action, ils vont droit au but qu’ils se proposent d’atteindre ; aucune objection ne les ébranle, et ils laissent volontiers au temps le soin de déraciner le mal ou d’en réprimer les excès. Ils ont ambitionné la palme dans les jeux isthmiens ; aucun sacrifice ne leur a coûté pour la conquérir, et ils ne reculeront pour la conserver devant aucune des conséquences fâcheuses