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grossi du déficit de 1814 et de 100 millions pour une nouvelle contribution de guerre remboursable, il fallait assouvir les armées ennemies qui devaient occuper notre territoire pendant cinq ans. Le ministre Corvetto, réduit à faire argent de tout, eut l’idée, en dressant le budget de 1816, d’ajouter 50 millions au chiffre ordinaire des cautionnemens. Les agens du trésor, dont les appointemens sont augmentés en conséquence, se résignent aisément ; mais les officiers ministériels rétribués par le public, les notaires, avoués, avocats aux conseils, greffiers, huissiers, agens de change, courtiers de toute nature, commissaires-priseurs, éclatent en lamentations. Comment pourront-ils compenser l’intérêt d’un cautionnement doublé ? Si du moins on leur permettait de présenter leurs successeurs ? — Qu’à cela ne tienne, répond la chambre introuvable, et on inscrit dans la loi des finances de 1816 le droit qu’auront les officiers ministériels de transmettre leurs charges aux gens de leur, choix. Ainsi se trouve rétablie la vénalité des offices, un des graves abus de l’ancien régime que l’assemblée constituante avait fait disparaître. D’un trait de plume et sans qu’on y songe, on écorne la liberté industrielle, on ferme au profit de vingt-cinq mille privilégiés des carrières qui devraient rester ouvertes à la concurrence ; on crée par le trafic des offices un capital fictif d’environ deux milliards, dont l’intérêt grèvera toutes les transactions à perpétuité.

Ne nous plaignons pas trop des introuvables ; ils auraient pu faire pis encore, rétablir « le droit royal travailler, » c’est-à-dire les jurandes et les maîtrises ; quelques fanatiques les y poussaient. Un député, M. de Rougé, avait pris l’initiative d’un projet en ce sens, et un avocat de Paris, nommé Le Vacher Duplessis, courait les boutiques pour recueillir des signatures. On s’autorisait d’un projet de loi élaboré en 1813 et oublié dans les cartons d’un ministère, d’après lequel les marchands auraient été invités à racheter l’impôt des patentes au prix de 100 millions, mais avec la clause d’un rétablissement des corporations industrielles comme moyen de discipline. Le projet ne prit pas de consistance ; la chambre de commerce de Paris, qui s’est toujours distinguée par ses tendances libérales, contribua beaucoup à le faire avorter. Elle eut aussi l’honneur de faire abandonner un projet d’impôts spéciaux sur les transports et la meunerie, sur la vente à l’intérieur des fers, des cuirs, des papiers, des huiles, des tissus.

À l’arriéré des anciens budgets, aux frais d’entretien des armées étrangères était venu s’ajouter le tribut de 700 millions exigé par les vainqueurs, faible indemnité des sommes qui avaient été prélevées sur eux pendant vingt ans. Le passif exigible vers 1816 atteignait 1,200 millions. La somme était effrayante pour l’époque. La