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conte. Ils sont nombreux, les gens qui consentent à ne pas admettre le surnaturel moderne pour ajouter pleine confiance au merveilleux d’autrefois. Cependant les hommes sont les mêmes, et les lois du monde, depuis des siècles, n’ont pas varié. On conçoit donc que c’est une tentative respectable et utile de donner quelques idées justes sur ce point, même à une génération très sage ; car les illusions ne sont pas éteintes, et l’histoire des sciences enseigne que lorsqu’une erreur a disparu, il se trouve toujours quelqu’un qui la ressuscite. C’est donc rendre un service à la raison et à la science que de ne pas craindre de retracer tant de faiblesses, tant d’erreurs et tant de crimes, dût-on dire quelques lieux-communs aux yeux de ceux qui croient qu’en ce monde tout est soumis à des lois générales et permanentes, et aux yeux des autres quelques paradoxes contraires à mille expériences incontestables, à des événemens qui ont influé sur la vie, la fortune, le caractère, les affections des citoyens, présidé à la destinée des rois et décidé du sort des empires.

Il faut distinguer ce qui est singulier, extraordinaire, incompréhensible, merveilleux ou surnaturel. Dans la conversation et même dans les livres, beaucoup de mots sont confondus qui ont des sens divers. Si ce qui n’est pas compris était toujours merveilleux, ce dernier mot aurait eu autant de significations qu’il y a eu de progrès dans la science humaine. Il serait aussi variable que la mode elle-même ; le merveilleux de l’un ne serait pas le merveilleux de l’autre. Celui d’un siècle serait naturel cent ans plus tard. En soi, tout même serait merveilleux, car la cause première de tous les phénomènes, l’essence des forces de la nature, nous est cachée. Néanmoins, si beaucoup de ces forces ont longtemps été inconnues, si nous ne les connaissons pas toutes, elles sont pourtant incontestables, éternelles, et elles ont toujours gouverné le monde. Quelle qu’en soit l’origine, quelque impossible qu’il soit de les connaître en elles-mêmes, il est permis de les appeler naturelles. Expliquer un fait, c’est le rapporter à une de ses forces. Un fait inexplicable, extraordinaire, est un fait que nous ne pouvons rapporter à aucune des forces connues ; un fait merveilleux serait celui qui, étant en contradiction avec l’une d’elles, serait un arrêt dans le jeu de ces causes que toute la science, toute l’observation des hommes conduit à croire immuables. Les phénomènes les plus complexes sont naturels, s’ils peuvent être ramenés à une cause générale, c’est-à-dire, expliqués. Un fait très simple serait merveilleux, s’il était contradictoire avec l’une d’elles. Bien plus, par une assimilation très raisonnable, le phénomène dont la cause nous est inconnue, s’il est très commun, très ordinaire, doit être considéré comme un phénomène naturel. Nous ne pouvons, il est vrai, le rattacher à aucune loi générale ; mais, s’il est permanent, on peut, en bonne logique, espérer