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si opposés, si incompatibles, si contradictoires, le besoin, inné chez l’homme, de secours et de prière le porte tellement à attribuer à la Divinité non-seulement la création, mais une action directe et incessante sur les créatures animées ou inanimées, qu’il a dès l’origine paru très simple à tout le monde de croire que tout était fait directement par eue. Ceux qui trouvaient la tâche difficile et longue pouvaient la diviser entre plusieurs ou admettre l’ubiquité ; mais ce dernier état est difficile à concevoir. On conçoit donc que, surtout dans ces contrées poétiques où la mythologie est née, on ait été tenté, même sans y croire, par élégance de langage, de voir dans chaque rivière une nymphe, dans chaque forêt une dryade, dans chaque astre un dieu. On fait parfois honneur à la superstition de beaucoup de fictions délicates et d’expressions allégoriques ; mais, même sans poésie, il est difficile de penser qu’une pierre qui tombe et les astres qui gravitent sont mus par la même cause. Tout est mystère et par conséquent tout est merveilleux. Dans tout phénomène, on voit la présence et l’action d’un dieu. Il est tout naturel alors d’invoquer ce dieu, soit pour lui demander un phénomène qui plaît, soit pour éviter celui qui déplaît. Les dieux étant nombreux, on les invoque les uns contre les autres. Les intermédiaires sont nécessaires, et l’on s’adresse bientôt à des prêtres, c’est-à-dire à quelques hommes choisis, consacrant leur vie à l’étude des attributions des dieux et des besoins des hommes, qui savent comment on demande et à qui il faut demander.

De l’intercession à l’intervention, il n’y a pas loin, ni de l’intervention à l’action et à l’autorité. Si les prêtres de l’antiquité n’avaient pas eux-mêmes affirmé leur autorité sur les divinités, la croyance populaire la leur eût bientôt attribuée. Aussi ne sont-ce pas seulement leurs prières qu’on réclame, mais leur action. Sans être dieux eux-mêmes, ils commandent aux dieux. Il faut en ce cas prévoir leurs bienfaits, leurs maléfices. De là les devins, les prophètes, les thaumaturges. En outre, les superstitions prennent des formes diverses. Tantôt on ne consulte que les bons génies, tantôt seulement les mauvais, moins puissans et soumis aux magiciens habiles, ordinairement à ceux qui savent leur vrai nom dans une langue particulière. Cette théorie se retrouve fréquemment au moyen âge. Dans l’antiquité, la magie se confond avec la religion, de même que le merveilleux n’est pas distinct de la science, et que les écrivains qui semblent les plus sages peuvent à côté d’une observation bien faite placer la fable la plus invraisemblable et le plus ridicule préjugé. Une puissance purement imaginaire ne saurait longtemps régner, et, quel que soit le désir des hommes d’être trompés, un prétexte au moins leur est nécessaire. Aussi des pratiques nombreuses et compliquées ont de bonne heure précédé et suivi l’invocation et la