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l’antiquité et le moyen âge. Tantôt le sujet de l’opération magique, troublé par la drogue qu’il avait prise, tombait dans un hébétement qui, jusqu’à ce que l’ivresse fût dissipée, le rendait propre à tous les services qu’on exigeait de lui, à porter les bagages par exemple, et alors il se croyait bête de somme. Tantôt il rêvait la transformation et volait, courait ou nageait sans changer de place. Rien n’est plus commun durant le sommeil que d’éprouver une sensation particulière qui est celle du vol, et qui tantôt nous persuade que nous volons tels que nous sommes, nous accrochant fort aisément aux corniches des appartemens, tantôt donne l’illusion que la transformation en volatile est complète. Les magiciennes de Thessalie étaient célèbres dans cette partie de leur art, et tout le monde a lu le récit charmant d’Apulée. Il voulait devenir oiseau, comme son hôtesse ; mais il se trompe, et ne réussit qu’à être âne. On connaît ses tribulations, ses plaisirs, sa délicatesse même sous cette forme, et son retour à la forme humaine après un repas de feuilles de roses.

Ainsi l’habileté et la science des uns, l’ignorance et l’imagination des autres rendent très concevables l’empire de la magie et la croyance au surnaturel. On peut y joindre le goût pour le merveilleux, l’imprévu et les aventures, auquel n’échappent pas les plus sages et les plus sceptiques. Avec le temps et les perfectionnemens de la mythologie, le nombre des dieux s’accroissait ; leur puissance, partagée de plus en plus, les rapprochait des hommes, et quelques-uns de ceux-ci à leur tour pouvaient espérer un pouvoir presque divin. Peu à peu même les anciens dieux discrédités étaient oubliés, et l’on ne s’adressait qu’à des êtres intermédiaires, plus utiles et moins décriés, que quelques philosophes monothéistes ne repoussaient point. Tels sont le génie de Socrate et les démons des platoniciens. Alors les enchanteurs remplaçaient les prêtres, et bientôt les sorciers les enchanteurs. À Rome, surtout dès les commencemens de l’empire, ils régnaient sans partage. À la suite des doctrines orientales et grecques, la magie avait envahi l’Italie longtemps avant les Barbares, et l’esprit humain, crédule et trompeur, y montrait sa faiblesse et sa puissance. L’élégant polythéisme des Grecs était remplacé par la démonologie. Ces démons, reconnus par la philosophie néo-platonicienne, n’étaient pas comme dans quelques contrées, et de nos jours encore, les âmes des morts rappelées sur la terre, mais des êtres particuliers doués d’un pouvoir incertain. Quelques-uns voyaient en eux la personnification des forces de la nature, et l’on comprend combien il importait de les conjurer. Contre ces dieux nouveaux, les philosophes ne pouvaient rien, car ils n’étaient pas exposés au mépris, à la haine, à la moquerie, comme les dieux du paganisme. Leur existence n’excluait même pas celle