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encore bien loin de sa limite et déjà cependant si fort au-dessus de ses besoins, la Hongrie est appelée à fournir aux pays étrangers, au midi de la France et à l’Angleterre surtout, une partie notable des blés qui leur feraient défaut. Dès aujourd’hui même, la Hongrie peut livrer annuellement au commerce extérieur plusieurs millions d’hectolitres de céréales, et l’excédant actuel s’accroître rapidement dans une très large proportion, sans que les prix de production aient à subir une augmentation sensible. Sous le rapport de la facilité et de la régularité des communications, cette exportation doit en outre s’effectuer dans des conditions bien préférables à celles de la Russie. On peut ajouter à ces faits, qui seront bientôt mis hors de doute, que la production des céréales en Russie doit, pendant quelques années au moins, subir une crise dont l’histoire permet d’apprécier les conséquences au double point de vue de la quantité produite et du prix de revient. En un mot, la Hongrie, pourvue par la nature d’un admirable réseau de voies navigables, et par la main des hommes de chemins de fer qui les complètent, est appelée à s’approprier, pour une large part, le marché de céréales qui appartient aujourd’hui au bassin de la Mer-Noire.

L’influence que doit exercer sur la production des blés en Russie l’importante réforme que vient d’entreprendre le gouvernement de ce vaste empire a été diversement appréciée. On a dit que la liberté du travail, conséquence de l’émancipation des paysans, aurait pour effet immédiat un large accroissement de production ; peut-être serait-il plus rationnel de prédire un résultat tout contraire. Le premier des faits qui viennent à l’appui de cette dernière opinion a eu pour théâtre une province de la Russie elle-même. Avant 1831, les deux gouvernemens de Kovno et de Grodno, dans la Pologne russe, non-seulement nourrissaient leur population, mais encore exportaient chaque année, par les ports de Dantzig et de Kœnigsberg, des quantités considérables de céréales. Il existait dans ces gouvernemens un grand nombre de fermes, et la main-d’œuvre de culture était presque exclusivement fournie par les corvées des paysans. à la suite des événemens politiques qui agitèrent en 1831 cette partie de la Russie, la plupart de ces fermes furent mises sous le séquestre, et les paysans affranchis des redevances de main-d’œuvre auxquelles ils étaient assujettis. Cette modification dans l’état du pays eut pour effet immédiat une telle diminution de production que, pendant une période de quelques années, ces deux gouvernemens, bien loin d’avoir, comme autrefois, un excédant de ressources, ont dû, pour subvenir aux besoins de leur propre consommation, tirer des céréales des gouvernemens voisins.

Un autre exemple, dont les enseignemens doivent avoir un poids bien plus grand encore, nous est fourni par l’histoire de ce qui s’est passé dans la province autrichienne de Galicie à la suite de la réforme de 1849. Les conditions diverses de la propriété rurale étaient dans cette province presque identiques aux conditions actuelles de la propriété en Russie. Avant 1849,