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REVUE DES DEUX MONDES.

m’inventes des torts que je n’ai pas. Tout ça, vois-tu, je ne veux pas te dire que c’est mal ; mais c’est inutile. T’étais dans ton droit de m’oublier et mêmement de te venger de moi. J’ai rien à dire. La punition est grande, faut savoir l’endurer. Je ne voulais plus te voir, Francine, tu m’as appelé… Eh bien ! reçois mes adieux ; je m’en vas pour toujours ! Seulement laisse-moi effacer ça : c’est quelque méchant cœur qui a inventé ça pour que tu me méprises, toi ! Il efface les paroles du mur. Il y a ici quelqu’un de bien lâche ! Oh oui, c’est lâche, d’achever comme ça un malheureux !

FRANCINE.

Voyons, écoute. Qu’est-ce qui t’a dit que j’en aimais un autre ?

BERNARD.

Ah ! qu’est-ce que ça fait, à présent, celui qui me l’a dit ?

FRANCINE, vivement.

C’est le drac ?

BERNARD, abattu.

Le drac ? Quel drac ? Où prends-tu l’idée du drac ?

FRANCINE.

Tu ne crois pas à ça ?

BERNARD.

J’y croyais quand j’étais enfant. C’est des histoires que les gens de la côte font comme ça !

FRANCINE.

Et sur la mer on ne fait pas d’autres histoires !… Ecoute-moi bien : mon père prétend que sur les navires, dans les gros temps, lorsqu’on est douze, on en voit tout d’un coup un treizième qui ne s’était point embarqué ?

BERNARD.

Le treizième ? C’est vrai ! Je l’ai vu, moi, je l’ai vu une fois !

FRANCINE.

Eh bien ! comment est-ce qu’il était fait, le treizième ?

BERNARD.

Comme Michel le timonier. Pauvre Michel ! Nous étions partis douze, nous nous sommes trouvés treize en mer !… En rentrant, nous n’étions plus que onze, Michel avait suivi son double au fond de l’eau.

FRANCINE.

Tu dis bien que c’était son double ?

FRANCINE.

Oui, celui qu’on voit comme ça, c’est toujours le double d’un de ceux qui sont là à bord… Mais qu’est-ce que ça te fait tout ça, Francine ?

FRANCINE, vivement.

Dis toujours, dis !