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De Mbau, les explorateurs gagnèrent le Nakelo, petit cours d’eau relié à la grande rivière de Rewa par un canal qui est un des plus anciens et des plus remarquables ouvrages du pays. Il atteste une population considérable au temps où il fut construit, car les grands déblaiemens qu’il a nécessités ont été opérés à l’aide seulement de corbeilles et d’outils de bois. Les indigènes disent que ce travail est fort ancien et qu’il a servi à des opérations militaires. En remontant ce canal, on s’engage dans le vaste delta de la Rewa, et l’on arrive à la ville du même nom, que les avantages de sa position, à l’entrée d’une rivière large et profonde qui coupe en deux la grande île, feront probablement préférer à Mbau comme siège principal de la colonisation anglaise. De plus, la rivière Rewa a été très complètement étudiée et reconnue en 1856 par une expédition anglaise sous la conduite de M. Macdonald, chirurgien du Herald, auquel était adjoint M. Waterhouse, missionnaire wesleyen, établi depuis longtemps dans l’île. Un grand canot double, pareil à ceux dont les indigènes font usage sur les rivières, et plusieurs embarcations plus petites remontèrent la Rewa, que l’on appelle plus fréquemment dans le pays Wai-Levou, grande eau, dans un espace de 146 kilomètres, jusqu’en un point appelé Motivaitala. La rivière est large, profonde, souvent coupée de bancs et de rapides que cependant l’on peut franchir. Elle fait de nombreux détours, reçoit plusieurs affluens de quelque importance et traverse un pays riche, bien cultivé, et couvert de villages où se presse une nombreuse population. Toute la rive droite du petit fleuve, jusque vers le rivage méridional de l’île, est couverte de bois que l’on appelle forêts des Dammaras, et dont la proximité de la mer et du cours d’eau rend l’exploitation facile et avantageuse. Un grand nombre de tribus soumises à des chefs différens se partagent le territoire qui s’étend sur les deux bords de la rivière ; elles étaient alors constamment en lutte. Tant de combats avaient été livrés sur la Rewa, que dans une grande étendue de pays on l’appelait « la rivière de sang. » Les Na-Seivan venaient d’être exterminés par la population de Namusi, qui a pour chef ce Kuruduadua dont il sera bientôt plus amplement question. Non-seulement la tribu, mais aussi les cocotiers, les arbres à pain et les plantations d’ignames et de taros avaient été bouleversés et détruits. Dans la tribu des Soloira, il y avait une troupe de guerriers qui prétendaient s’être rendus invulnérables par certains enchantemens ; en effet, quand ils se présentaient au combat corps à corps, leurs ennemis, frappés de terreur, fuyaient toujours devant eux, et on leur accordait généralement ce titre d’invulnérables, vaka kalou vatu. L’introduction des fusils ruina leur prestige : à l’attaque d’une place, sept hommes de cette troupe prétendue invincible ayant