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cette publication est dépassée. Traitons donc ce livre comme s’il ne devait point avoir de suite, et comme s’il ne devait rien prouver.

C’est l’histoire de deux orphelins élevés ensemble et destinés vraisemblablement à s’aimer. Ils sont l’unique préoccupation de tous ceux qui les entourent ; ils sont l’âme et la vie d’un petit monde de pauvres pêcheurs, et leurs équipées enfantines sont les seuls événemens du voisinage. L’auteur a pris pour théâtre de son récit une des nombreuses îles dont la côte du Maine est parsemée, et qui sont comme le prolongement du banc de Terre-Neuve ; c’est là, au bord d’une mer orageuse, sous un âpre et rude climat et dans les rigoureux enseignemens du puritanisme, qu’il fait grandir ses deux héros. N’appréhendons point cependant d’austères tableaux ni de rigides leçons : Mme Stowe semble au contraire s’être inspirée de Bernardin de Saint-Pierre ; elle a adouci tous les tons de sa palette pour esquisser deux figures d’enfans que toutes les mères envieraient. Quoi de plus charmant que l’enfance, et quel plus agréable spectacle que celui de ces petits hommes qui s’essaient à vivre, qui reproduisent innocemment et semblent parodier les bons et les mauvais côtés de notre nature, et où les défauts mêmes ont une certaine grâce qui arrache l’indulgence ? Quelle comédie vaut cette société en miniature, où l’observateur voit déjà poindre, au milieu d’orages passagers, de rivalités promptement apaisées et de larmes bientôt taries, tous les travers et toutes les passions de l’humanité ? Mme Stowe excelle à ces fines peintures, qui ne sont qu’un jeu pour son pinceau délicat, et quelques scènes lui ont suffi pour montrer par des traits vifs et rapides l’immense place que les enfans tiennent dans l’existence. Ce qu’elle montre mieux encore, c’est combien ils sont nécessaires et quel vide résulte de leur absence ou de leur disparition. Malheureux en effet qui, jeté dans les luttes de cette vie, ne se sait attendu par personne en sa demeure, et, après avoir laissé à chaque épine du chemin un peu de sa force et un lambeau de son cœur, ne doit point retrouver à son foyer solitaire cet adoucissement assuré de toutes les amertumes, cet encouragement à tous les sacrifices, cette source inépuisable des joies les plus pures, la douce tyrannie d’un enfant !

Voilà le sort qui menace le vieux capitaine Pennel au moment où s’ouvre le récit. Il ne revient chez lui que pour voir périr à l’entrée du port, et sous ses yeux, le bâtiment qui ramène son gendre, l’époux de la fille unique sur laquelle il a concentré toutes ses affections. La jeune femme est frappée au cœur par ce coup affreux.

« Quelque chose d’inusité se passe ce soir dans la demeure de Zephanich Pennel. Entrons, et laissons-nous guider par l’unique rayon de lumière qui s’échappe d’une porte entre-bâillée.