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qu’une douce moquerie fait aussitôt ressortir. Quelle qu’en soit l’origine, cet heureux privilège de faire naître à volonté le sourire ou les larmes est un des traits distinctifs du talent de Mme Stowe, et il se retrouve, comme on a pu voir, dans le nouvel ouvrage qu’elle vient de publier. Ajoutons que Mme Stowe n’a pas seulement conservé les précieuses qualités qu’on avait remarquées dans ses premiers écrits, qu’elle a gagné sous le rapport de la forme. Son style, autrefois trop jumelé et trop périodique, s’est détendu ; il est aujourd’hui plus vif, plus animé et plus rapide ; mais il manque encore de simplicité et de netteté. Nous signalerons un autre progrès, dont il faut peut-être faire honneur au choix du sujet et à l’heureuse exclusion de la politique et de la théologie ; la Perle de l’île d’Orr n’est pas, comme les précédens ouvrages du même auteur, surchargée de conversations diffuses et d’argumentations en règle. Mme Stowe semble avoir appris l’art d’indiquer en passant, et par des traits rapides, les nuances de caractères qu’elle ne savait marquer autrefois qu’au prix de discussions fastidieuses et d’interminables dialogues.

Il est un talent qui lui reste à acquérir, c’est celui de la description. Comme tous les auteurs américains, elle à la rage de décrire, et comme eux elle y échoue complètement. Je défie qu’on trouve dans toute la littérature américaine, en dehors des œuvres de Cooper, qui fut un maître, une seule description intelligible, et qui laisse dans l’esprit quelque chose de net et de précis. Un peintre n’entasse pas dans un tableau des arbres, ou des rochers, ou des animaux : il les dispose en groupes qui appellent et retiennent le regard, et c’est en distribuant dans une juste mesure les ombres et les lumières qu’il s’efforce de composer un ensemble harmonieux. Mme Stowe, comme ses compatriotes, croit faire merveille en confondant toutes les couleurs de sa palette et en les prodiguant à l’aventure. Ce ne sont chez elle que rayons de soleil, que flots argentés, que feuillages bariolés, que nomenclatures d’arbres et de fleurs à dérouter un botaniste. Tout chatoie, tout brille, tout reluit, tout étincelle, tant et si bien que les yeux éblouis ne peuvent rien distinguer au milieu de ce luxe d’épithètes et de mots sonores. Trois ou quatre traits bien choisis en auraient dit davantage. Ce n’est pas du reste que nous voulions faire un grand crime à Mme Stowe de cette indigence de son pinceau : nous tenons en plus haute estime la puissance dramatique que personne ne peut lui refuser. Si ses paysages manquent de relief, ses héros sont bien vivans, et l’on pardonnerait des défauts bien plus graves à qui sait tracer des figures comme celles d’Eva, de Mary Scudder et de Mara Pennel.


CUCHEVAL-CLARIGNY.