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tableau d’une civilisation avancée. Dans un autre chapitre intitulé Como son los Ingleses diversos y contrarios de todas las otras naciones de christianos, le brave Nino ne se montre pas à beaucoup près aussi indulgent pour nos voisins d’outre-Manche[1].

La part du commerce dans le mouvement de la civilisation ne pouvait manquer d’être considérable en de pareils lieux, et elle témoigne de sa puissance d’autant mieux que les obstacles à surmonter étaient plus grands. Ils tenaient surtout à l’état intérieur du pays. En étudiant les travaux de M. de Fréville[2], on a peine à comprendre comment le commerce se mouvait sous le réseau de règlemens absurdes et de péages tortionnaires dont l’accablait la féodalité. Impudente et brutale entre les mains des seigneurs, elle était entre celles des moines habile à faire payer au-delà de leur valeur des services rendus, tels que des établissemens de bacs ou des entretiens de passages en rivière. Heureusement la Normandie a toujours été la province de France où l’on tire le mieux parti du silence ou de l’obscurité de la loi : on savait presque toujours amener à composition ces petits exacteurs locaux, et si les marchands laissaient quelques plumes dans le filet, ils n’y restaient jamais empêtrés. Il faut admettre l’existence d’un régime de fraudes et d’exemptions à peu près normal pour expliquer la circulation des marchandises entre Rouen, Paris et la mer au moyen âge.

Dès 1207, Philippe-Auguste, attentif à consolider l’incorporation de la Normandie à la France, accordait à la ville de Rouen, avec d’autres importantes franchises commerciales, le privilège du trafic avec l’Irlande. Le régime établi par ce grand prince a longtemps suffi aux besoins du pays. Une amélioration considérable y fut apportée sous Henri III dans « l’establissement d’un prieur et de deux consuls pour cognoistre, décider et juger en première instance des différends concernant le trafic et commerce. » Le commerce fut de la sorte affranchi des frais et des lenteurs de la justice ordinaire, et cette institution, étendue par Henri IV à la plupart des villes maritimes qui le demandèrent, est l’origine de nos tribunaux de commerce.

Pour voir l’industrie prendre à Rouen un essor auparavant inconnu, il faut passer au règne de Louis XIV. Colbert devient ministre ; en 1662, il étudie ; en 1664, il agit. Il commence par créer à Dunkerque, à Bayonne, à Nantes et à Rouen « des conseils de commerce dans lesquels les principaux marchands se réunissaient tous les six mois pour étudier les questions relatives aux intérêts

  1. Cronica de don Pedro Nino conde de Buelna. In-4°, Madrid 1782.
  2. Histoire du Commerce de Rouen au moyen âge, 2 vol. in-8o.