Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/911

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

personnes qui vont prendre la mouche. Saxon était tout à fait tenté cette fois de dégringoler au rez-de-chaussée. Il comprenait qu’il avait tout l’air d’un sot ; et ceci l’humiliait profondément. Jamais il n’avait affronté une petite dame si imposante,… imposante par son air tout à fait comme il faut.

— Vraiment, madame,… je ne sais comment cela est arrivé… Je ne songeais point à mal, je vous assure… J’ai prêté assistance à mademoiselle votre fille, qui voulait descendre d’un arbre… Et son extrême franchise,… charmante d’ailleurs,.. m’a peut-être rendu indiscret.

— Mais enfin, monsieur, qui êtes-vous ?

— Mon nom, madame, est Saxon Wornton… Mon père est M. Wornton, de Wornton-Hall, Staffordshire. J’arrive justement de Hambourg et me rendais à Bierberg. Voici, madame, les lettres qui m’accréditent auprès de M. Blind, notre ministre plénipotentiaire.

— Votre parole à cet égard me suffit, reprit la petite dame sur un ton beaucoup moins sévère. Puisque vous êtes le fils de M. Wornton, votre grand-père a été un des trustees[1] de ma fortune. Nous sommes par conséquent amis intimes. Il est bien étrange que nous nous soyons ainsi rencontrés… Maintenant expliquez-moi ce qui vous a pris de vous proposer ainsi à ma fille… Il ne se peut point que vous la connaissiez depuis plus d’une demi-heure… Il n’y a pas ce temps-là qu’elle a quitté ce salon pour descendre dans le jardin… C’est véritablement la chose la plus inouïe !… Comment donc tout cela s’est-il passé ?

— Je… je ne sais pas… Il me semble que je n’ai pas cru… Certainement je n’aurais pas eu l’impertinence,… de but en blanc, à première vue… C’était un compliment, et pas autre chose…

La jeune personne ici quitta des yeux le visage de sa nouvelle connaissance, et, se tournant du côté de sa mère, lui répéta mot pour mot ce que Saxon avait dit, ce qu’elle lui avait répondu.

— Mais, chère petite, c’est très mal !… Quel absurde enfantillage !… Et, voyons un peu, monsieur, quel âge avez-vous ?

— Bien près de dix-huit ans, madame.

— Miséricorde !… vous êtes plus jeune qu’elle !…

À ces mots, prononcés avec un sourire, la situation s’éclaircit. La dame âgée était évidemment fort égayée par cet incident inattendu.

— Quelle paire d’innocens !… reprit-elle. Allons, monsieur, asseyez-vous, et causons ! ., Savez-vous qui nous sommes ?

— Je n’ai pas cet honneur, répliqua Saxon, qui prit un fauteuil, et se sentit beaucoup plus à l’aise.

  1. Les trustees sont des « curateurs aux biens » très fréquemment employés en Angleterre à veiller sur la fortune des mineurs, des femmes mariées, des interdits, etc.