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mers arabiques est restée pour les naturels ce qu’elle était sous Salomon.

Le commerce qui se fait aujourd’hui à Aden est loin de valoir d’ailleurs celui qui s’y faisait jadis, quand elle était le grand entrepôt de la Mer-Rouge au temps des Phéniciens. Elle portait alors le nom d’Héden, et elle est désignée sous ce nom dans un des cantiques d’Ézéchiel célébrant les gloires de Tyr, dont Aden était l’un des comptoirs[1]. Le dépôt central des marchandises de l’Inde, de la Perse et de l’Ethiopie, destinées à l’Europe, continua d’être établi à Aden sous les Grecs, et plus tard sous les Romains. Ptolémée, Strabon, Pline, tous les anciens géographes, mentionnent successivement cette place, que les cartes latines désignaient sous le nom caractéristique d’Arabiœ emporium. Aden était à cette époque et elle est restée pendant tout le moyen âge le pays de l’or et des pierres précieuses, de l’encens et de la myrrhe. Elle était restée aussi, malgré la concurrence des caravanes, le grand entrepôt des épices de l’Inde, des mousselines de la Perse, des soieries de la Chine, et ce n’est que lorsque les Portugais eurent découvert une autre route maritime, celle du cap de Bonne-Espérance, que la prospérité commerciale d’Aden commença à diminuer. Albuquerque en 1513 essaya de prendre la ville. N’ayant pu y réussir, il la bombarda et en incendia le port. Comme vice-roi des Indes, il voyait de mauvais œil le commerce encore florissant de l’Arabie faire une sérieuse concurrence aux comptoirs déjà établis par les Portugais à Goa et à Diu. Depuis lors, Aden a toujours été déclinant, et si elle a repris de nos jours quelque importance, c’est que l’ancienne voie commerciale par l’isthme de Suez, voie de beaucoup la plus courte pour le commerce de l’Inde, est de nouveau rentrée en faveur grâce aux lignes de vapeurs anglais.

Ce fut vers la fin du siècle dernier que l’Angleterre jeta les yeux sur Aden. Le général Bonaparte songeait alors pour la première fois à ce grand projet qu’il caressa toute sa vie et n’exécuta jamais, celui d’une formidable attaque de l’Inde pour frapper la Grande-Bretagne dans sa puissance coloniale. Dès cette époque, les Anglais occupèrent aussi Périm, et comprirent la haute importance de cette position, que les Arabes ont nommée à si juste titre la clé de la Mer-Rouge. Solidement établis sur ce point, les Anglais y eussent arrêté au passage l’armée navale que Bonaparte voulut un instant envoyer de Suez. Cette armée ne partit pas, car le général du directoire fut ramené d’Égypte en Europe par des intérêts plus graves : il oublia momentanément son expédition de l’Inde ; mais les Anglais,

  1. Ezechiel, chap. XXVII, verset 23.