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domaines des planteurs. Maintenant il n’en est plus de même : bien que la loi d’extradition des esclaves fugitifs n’ait point encore été officiellement abolie, la confédération esclavagiste a désormais des frontières ; elle est renfermée dans des limites plus étroites qu’auparavant. Si incertaine que soit l’issue de la guerre, on ne peut douter que les pays habités par une forte majorité d’hommes libres, le Maryland, le Delaware, la Colombie, la Virginie occidentale, une grande partie du Missouri et du Kentucky, ne restent au pouvoir des fédéraux : c’est un territoire plus vaste que la France perdu pour l’esclavage. Les planteurs, refoulés dans un plus étroit espace, ne pourront plus échanger des terres épuisées contre un sol vierge, et la production du coton, comme celle des autres denrées, deviendra de plus en plus coûteuse. Certes les créoles de la nouvelle confédération, que distinguent à la fois la persévérance anglo-saxonne et la passion méridionale, prouvent aujourd’hui qu’ils sont capables des plus grands efforts pour atteindre leur but ; mais si leur audace et leur patience suffisent pour balancer la fortune du nord, elles s’useront en vain contre les lois économiques et morales qui régissent les sociétés. Une terre souillée par le travail esclave reste frappée dans sa fécondité même, et, pour lui rendre sa force de production première, il faut que le travail affranchi vienne à son tour la solliciter. Un jour, lorsque le magnifique bassin du Mississipi et les vallons des Apalaches seront enfin habités par des hommes libres à la peau noire ou blanche, nous verrons refleurir ces campagnes où l’esclavage, traînant à sa suite la guerre civile et d’autres fléaux, a commencé son œuvre de dévastation.


II

L’ancien monde est solidaire du nouveau, et pas un événement ne s’est accompli sur un rivage de l’Atlantique sans avoir immédiatement son contre-coup sur l’autre rivage. Que l’Amérique soit prospère ou ruinée, l’Angleterre et par conséquent le monde civilisé doivent aussi prendre leur part de la fortune ou du désastre. C’est par le coton surtout que le royaume-uni et la république américaine ont été jusqu’à nos jours dans une dépendance mutuelle et ont passé par des phases analogues. Aux merveilleux progrès agricoles des états à esclaves correspondaient les progrès industriels non moins étonnans du Lancashire ; les immenses richesses des cotton-lords s’étaient amassées aussi rapidement que les grandes fortunes des patriciens du sud, et toutes les péripéties de l’esclavage avaient eu leur triste contre-partie dans les oscillations du paupérisme, cette douloureuse plaie de la puissante Angleterre. En demandant