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long chapelet de fleurs d’oranger retenu derrière l’oreille gauche et tombant sur l’épaule.

Elle rit, elle fume des cigarettes, elle parle arabe, nègre, italien et français dans la même phrase. Elle est d’une coquetterie si naïve qu’on a plaisir à lui prodiguer des complimens. Nous l’avons trouvée accablée par une forte migraine, la figure luisante de pommade ; après le café, elle s’est trouvée guérie. Elle s’est fait essuyer et a babillé jusqu’à dix heures du soir. Les bâillemens sont arrivés alors comme des coups de pistolet. C’était le signal de la retraite.

Tu es peut-être curieuse de savoir à quelle classe de femmes appartient Zohrah. C’est assez difficile à déterminer, faute de situation analogue dans nos mœurs. Elle est fille d’un marchand maure, décédé depuis trois ans, et de la vieille Kadidjah, Arabe de Constantine. Elle a été en pension chez une Française, ce qui explique ses innocens appétits de liberté. Après la mort du père, la mère et la fille ont converti leur fonds de commerce en or et en bijoux. C’est la manière de procéder des Maures et des Arabes. Ils ont peu de besoins, et leurs instincts tendent à simplifier encore cette existence, déjà si simple. La convoitise des femmes porte généralement sur des objets de si peu de valeur qu’on ne peut les accuser de cupidité ; elles ignorent les calculs de l’ambition, comme toute leur race ignore la spéculation, c’est-à-dire la fructification de l’argent. C’est entre leurs mains une provision stérile, comme ces amas de graines et de noisettes que font les souris de nos jardins pour passer l’hiver sans sortir : prévoyance, il est vrai, mais prévoyance modeste et philosophique à la manière des sages de l’antiquité ou des animaux. Ces femmes ne produisent rien : que feraient-elles, n’aspirant pas à s’enrichir ? Elles épargnent, et, « comme les lis des champs, elles ne travaillent ni ne filent. »

6 juin. — Je suis allé voir Prosper Jourdan, que j’ai trouvé courbaturé de notre promenade à Koleah. Il était occupé, tu ne devinerais jamais à quoi ? Il cherchait un trésor dans son jardin. Il ne faisait peut-être pas cette recherche très sérieusement ; mais il n’y avait pas de raison pour qu’il ne trouvât pas quelque chose d’enfoui dans le trou qu’il explorait, et qui avait l’air d’un ancien four ou d’une citerne comblée. Les Arabes, par suite de cette prévoyance étroitement raisonnée dont je te parlais hier, enterrent leur argent dans tous les coins des maisons et des jardins, et même en pleine campagne. Parfois ils meurent sans avoir révélé le secret, et on peut très bien trouver dans des lieux déserts, sous une pierre, sous un buisson ou au pied d’un arbre, une somme d’argent ou de cuivre qui a été toute une fortune, ou un en cas pour les éventualités d’une destinée humaine.