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on est sorti de cette période de faiblesse, de tâtonnemens, d’anarchie, qu’un gouvernement nouveau et privé de moyens d’action devait inévitablement traverser a l’origine d’une épreuve à laquelle les États-Unis étaient si peu préparés. Le gouvernement de l’Union dispose aujourd’hui avec une prodigalité inouïe d’immenses ressources financières et de moyens illimités de crédit. Il a une armée de cinq à six cent mille hommes. Au lieu de compromettre impatiemment cette armée dans des expéditions hâtives, il l’a organisée avec une prudente lenteur ; il est devenu assez maître de lui-même pour se résoudre à n’agir qu’à son heure, afin de frapper à coup sûr. Au lieu d’être poussé aux aventures par le sentiment des masses, le gouvernement américain ne semble avoir affaire qu’à une opinion populaire disciplinée. Dans sa politique intérieure, il s’est abstenu de recourir aux mesures extrêmes qui auraient déchaîné sur le sud le fléau de la guerre servile ; il a eu la sagesse de se contenir, afin de ne point compromettre les dernières chances d’une réconciliation avec les états séparés. Il a donné dans sa politique extérieure d’égales preuves de sagesse et de fermeté. Il a jusqu’à présent rencontré au dehors deux pierres d’achoppement : les droits de belligérans reconnus aux états du sud par la France et par l’Angleterre, et l’affaire du Trent. Il a évité ces deux écueils. Certes il est pénible pour un état souverain de voir des droits de belligérans reconnus par des gouvernemens étrangers à des populations qu’il considère comme rebelles ; on peut juger de la difficulté d’une telle épreuve en imaginant ce que feraient l’Angleterre et la France, si elles se trouvaient par malheur placées en des circonstances semblables. Ceux qui ont lu les dépêches de M. Seward relatives à cette question des droits des belligérans ne pourront s’empêcher de rendre justice à l’esprit de conciliation montré par le ministre américain. Le président Lincoln et son ministre ont apporté une égale prudence dans l’affaire du Trent ; ils semblent avoir pris à cœur de pratiquer ce sage conseil donné par lord Stanley a ses compatriotes, de laisser s’évaporer les passions populaires et d’arranger à l’amiable les conflits qui pourraient s’élever entre les États-Unis et l’Angleterre. Dans l’ensemble donc, et sans vouloir justifier certaines violences inévitables dans une telle commotion, par exemple l’acte sauvage de l’empierrement du port de Charleston, le gouvernement de Washington, par les gages de prudence qu’il a donnés et par les garanties de force qu’il présente, doit être pris en sérieuse considération par l’Europe. Évidemment il n’est point inférieur à la lutte qu’il a entreprise. Il mènera cette lutte à fin, promptement peut-être et en épargnant de grands maux aux états du sud, si la diplomatie européenne n’empiète point sur les droits de sa souveraineté ; mais même une intervention européenne ne le contraindrait pas à y renoncer. Cette intervention ne ferait que le pousser aux extrémités violentes, et c’est elle qui serait responsable devant l’humanité des malheurs qu’elle aurait déchaînés sur l’Amérique.

L’Angleterre et la France, si elles consultent les principes dont s’honore leur politique et leurs véritables intérêts, ne doivent souhaiter qu’une