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n’en comporte pas davantage. La presqu’île, si elle était dépliée sur un plan uni, occuperait peut-être une superficie quadruple de son emplacement maritime. Le département du Var n’a qu’une vallée, étroite et longue, de Toulon à Fréjus ; le reste est une série de plis de montagnes et de gorges plus ou moins profondes, qui méritent à peine le nom de vallons, mais qui recèlent des beautés de premier ordre.

Dans une des parties encaissées de mon trajet, frappé de la brusque variété des zones de terrain fertiles ou désolées, je remarquai sur ma gauche une bastide si laide que je me pris à rire. Dans ce pays du laid en fait de constructions, celle-ci devait remporter le prix ; c’était une petite masse informe de bâtimens décrépits, plantée de travers et comme à demi enterrée au beau milieu d’un champ de blé : ni cour, ni jardin ; une façade sans entrée, soudée à un appendice complètement aveugle. En revanche, la façade avait quatre gros yeux carrés ; mais, en regardant mieux, je reconnus que trois de ces fenêtres étaient peintes, et qu’une seule, fermée d’un volet, pouvait s’ouvrir.

Je ne sais pourquoi il est de ces gîtes insignifians qu’on prend en horreur rien qu’à les regarder de loin et à rêver qu’on pourrait être forcé par un accident d’y entrer et d’y mourir. En voici un, pensai-je, où je voudrais mourir vite par exemple ! Quelle créature humaine abandonnée du ciel et des hommes peut donc s’être résignée à vivre là, et quel insensé a pu faire édifier à ses frais une pareille demeure ?

Les Provençaux sont fiers de leurs bastides, parce qu’ils ont les matériaux à discrétion, et que leurs yeux ne sont jamais attristés par les chaumes moussus et les pignons pittoresques du vieux temps français. Depuis l’époque gallo-romaine, je crois qu’ils ont toujours dû bâtir à l’instar caricaturé des villas de la campagne de Rome. Il semble que le moyen âge et la renaissance n’aient point passé par là, et que de temps immémorial on ait gardé, en l’abêtissant de plus en plus, la tradition imposée par la conquête. On a perdu l’art des parties en relief. Il était plus facile et plus prompt de percer les ouvertures dans la muraille lisse, sans les rehausser par aucun filet en saillie. Soit : l’économie est une nécessité qui ne se discute pas ; mais le goût est autre chose, et celui des Provençaux, toujours entiché de la tradition romaine de la décadence, s’est vengé de la pénurie de sculpture par une atroce peinture imitant de la façon la plus grossière les angles en pierre de taille, les cordons d’architecture en saillie, et les reliefs d’encadrement des ouvertures. De plus, comme on est sous le ciel de la couleur, il en faut mettre partout, et les maisons sont badigeonnées des tons les plus faux ou les plus