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de deux sortes, les unes propres au pouvoir exécutif, les autres au pouvoir judiciaire. Toutefois qu’on ne s’y trompe pas : en dépit des constitutions et des régimes politiques, le pouvoir judiciaire est resté ce qu’il était, ce qu’il doit être, indépendant ; le pays s’est dessaisi de la nomination des juges, mais le pouvoir judiciaire n’a point été pour cela confondu avec le pouvoir exécutif, car le pouvoir exécutif n’a point le droit de juger. La séparation des deux pouvoirs est énergiquement accusée dans le droit de grâce, qui permet au souverain de remettre la peine, c’est-à-dire de ne pas la faire exécuter, mais non d’effacer la condamnation, œuvre de la justice, et qui doit rester intacte ; elle n’apparaît pas avec moins d’évidence dans le fait étrange, mais nécessaire, qui se produit lors de la nomination du juge, lequel, aussitôt institué, est légalement placé dans un état d’indépendance absolue vis-à-vis du gouvernement dont il reçoit sa nomination. Dès que le gouvernement a usé de son droit en désignant le juge, il a épuisé la mission qu’il avait reçue du pays ; il reste sans prise sur le magistrat qu’il a créé, et celui-ci peut à l’instant même juger sa conduite et ses actes : un rempart s’est élevé entre eux, l’inamovibilité. Qu’est-ce donc que l’inamovibilité, et quelle en est la source ?

On a vainement essayé de la chercher dans l’ancienne société, où elle existait cependant, mais dans des conditions bien différentes de celles où nous la voyons aujourd’hui. Dans une discussion restée célèbre, Chateaubriand la rattachait à une triple origine. « L’inamovibilité de la justice, disait-il, qui a donné à notre magistrature tant de grandeur, tire parmi nous son origine de trois principes sacrés et inamovibles : la royauté, la propriété, la religion. » Or, prenant en cela l’effet pour la cause, l’abus et l’usurpation pour une règle, il n’arrivait en définitive à démontrer qu’une seule chose avec l’histoire : c’est que la royauté, la féodalité et le clergé avaient successivement fait tourner le principe de l’inamovibilité à leur profit. Au temps de leur domination, la justice était restée celle du bon plaisir parce que le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire étaient confondus dans leurs mains. L’inamovibilité du juge ne résida véritablement que dans la propriété des charges de judicature ; on était juge comme on est propriétaire. L’état vendit d’abord la fonction, puis l’hérédité de la charge, le vendeur garantissait l’acheteur contre l’expropriation : voilà tout simplement ce que fut l’inamovibilité de l’ancienne magistrature. Celle de nos juges n’est point attachée à la propriété ; elle procède d’un tout autre principe : elle est dans le pacte social Où elle se trouve stipulée, car elle figure dans toutes nos constitutions, elle est, disons-nous, une véritable réserve du pays, qui, en élisant les magistrats, leur déléguait le pouvoir de