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seraient à Rome chacun chez soi. Qui pourrait empêcher les respects d’arriver au Vatican, les prières au tombeau des apôtres ? Qui pourrait enlever aux sanctuaires romains le prestige de leurs pieux souvenirs et la gloire dont les arts les ont entourés ? Qui pourrait interdire la réunion des représentans du catholicisme venant autour de leur chef délibérer sur la législation de l’église ou célébrer les mérites de leurs saints ? Nous ne voulons pas offenser les cœurs religieux par des assimilations qui leur paraîtraient blessantes ; mais nous est-il possible d’oublier les grands traits de l’époque où nous vivons ? Ne règne-t-il point parmi les nations modernes une émulation généreuse qui les porte à ouvrir chez elles un accès à toutes les réunions qui ont pour objet les intérêts de l’art, de la science, de l’industrie, de l’économie publique ? Nous sommes le siècle des expositions, des exhibitions et des congrès cosmopolites, et les catholiques douteraient de posséder dans le premier siège de leur foi la liberté de leurs conciles et de leurs fêtes ! Ils feindraient de craindre pour une indépendance à la conservation de laquelle le royaume d’Italie serait si vivement intéressé par l’éclat qu’il en recevrait dans le monde ! Non, la manifestation qui s’accomplit à Rome n’est point une démonstration victorieuse de la nécessité du maintien du pouvoir temporel.

Encore, puisque l’on cherchait à faire sortir de la cérémonie de ce jour un enseignement favorable aux intérêts temporels de la cour romaine, il eût été plus digne et plus habile de n’ajouter aucun commentaire politique à la pompe et à l’émotion de cette scène ; il eût été plus digne et plus habile de laisser les choses parler toutes seules aux imaginations et aux cœurs, Les larmes silencieuses du saint-père n’étaient-elles pas assez éloquentes ? Mais non, les passions obstinées d’une politique fatale ont dominé l’attendrissement. On a voulu qu’il sortît de cette assemblée des évêques du monde un manifeste en faveur du pouvoir temporel, comme on eût demandé un protocole à un congrès, une proclamation à un parlement. On a décidé que le corps épiscopal présenterait une adresse au pape à propos des périls que court le domaine terrestre de l’église. Pauvres martyrs japonais, aviez-vous jamais rêvé un autre royaume que, celui qui n’est pas de ce monde ? Divers commissaires ont été chargés de la rédaction de cette adresse. Un premier projet a été écrit par le cardinal Wiseman. On croira peut-être que l’archevêque de Westminster, qui vit au milieu d’un peuple libre et qui pratique la liberté religieuse au sein d’une société où toutes les églises peuvent vivre et s’épanouir dans une complète indépendance dogmatique, était mieux qu’un autre prélat en mesure de parler au monde le langage de notre siècle. Il n’en serait rien, s’il faut en croire la chronique : le projet d’adresse du cardinal Wiseman était si fougueux, si violent, si cassant, qu’il a effrayé la modération et la prudence de la majorité des évêques ; c’est une autre rédaction qui a été adoptée. L’on assure que dans cette adresse un très petit nombre d’évêques français ont timidement