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avec accompagnement de chœur, est simple, gracieux, empreint d’une couleur archaïque qui rappelle les vieux maîtres allemands. L’air pour voix de ténor que chante Abdias, — Dieu se donne au cœur sincère, — est bien, et la mélodie, enfermée dans une octave de sol mineur, exprime un sentiment doux et un peu mystique. Il est bon de faire observer que dans cet air, comme dans plusieurs autres morceaux de l’ouvrage, Mendelssohn affecte d’écarter certaines notes caractéristiques pour éviter la banalité d’une chute trop accusée, et pour maintenir sa phrase dans un vague un peu monotone qu’il ne faut pas confondre avec l’accent religieux. Le chœur du peuple qui répond à Abdias, — Dieu reste sourd à nos cris, — est vigoureusement dessiné, surtout à partir du crescendo qui module dans le ton d’ut majeur. On n’a pas exécuté, aux deux séances de M. Pasdeloup, le double quatuor des anges, morceau un peu long, mais qui doit produire de l’effet lorsqu’il est chanté par de bonnes voix fraîches et naturelles. J’avoue que j’apprécie médiocrement la scène où la veuve implore la pitié d’Élie pour son fils malade, et j’en dis autant de celle qui suit entre le prophète et la veuve. Tout cela est écrit dans une forme indécise qui n’est ni du récitatif proprement dit, ni de la mélodie cursive. C’est dans ces pages de vague mélopée, qui se rencontrent si souvent dans les œuvres de Mendelssohn, qu’un grand nombre de jeunes compositeurs modernes, particulièrement M. Gounod, sont allés prendre les élémens de ce style terne et travaillé dont ils ont affublé leur pensée. J’aime bien mieux le chœur, — Heureux qui toujours l’aime et toujours le prie, — qui est simple et d’une expression douce et résignée ; seulement ce chœur est accompagné par un dessin persistant des instrumens à cordes, formule dont l’auteur abuse dans cette œuvre remarquable, où l’on sent une forte imitation de Sébastien Bach. La scène, très dramatique et très incidentée, entre Élie et les prêtres de Baal, qui se disputent sur la prééminence du Dieu qu’ils servent, renferme de beaux élans et des chœurs vigoureux, surtout celui en fa majeur, — O puissant Baal ! — dont l’allegro, à trois temps, est plein de mouvement. Ici encore, il y a lieu de remarquer la persistance de cette formule d’accompagnement dont nous avons parlé plus haut, et qui enveloppe les voix depuis le commencement jusqu’à la fin du chœur. Le second chœur en la majeur, où les prêtres de Baal invoquent la puissance de leur Dieu, est plus vigoureux et plus accentué que celui qui précède. L’air pour voix de basse, — Dieu parle, tremble ! — dans lequel le prophète menace le peuple indocile, est vigoureux et rappelle fortement le style de Handel. Je préfère l’arioso que chante l’ange, — Maudit soit l’infidèle ! — mélodie gracieuse et touchante que Mme Viardot a déclamée avec la distinction de style qui lui est propre. Après une longue scène entre Abdias, Élie, son disciple et le peuple, la première partie de l’oratorio se termine par un beau chœur, — Gloire au Seigneur !

Dans l’œuvre remarquable que nous venons d’analyser, le compositeur n’a su éviter ni les défauts qui sont inhérens au sujet qu’il avait à traiter, ni les imperfections de son propre talent. Mendelssohn n’est qu’un compositeur de second ordre parmi les glands maîtres de son pays. Il manque en général de spontanéité, et il ne possède que du sentiment et de l’imagination.