Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 39.djvu/1039

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un des plus remarquables morceaux de métaphysique de notre temps. J’en dirai autant de la réfutation du panthéisme, qui est d’une dialectique souple et nerveuse, et où brillent toutes les qualités bien connues de l’auteur, la lumière et la précision, l’élévation et l’autorité.

Mais si M. Saisset rejette la solution des panthéistes, quelle est la sienne ? Sa solution, qui n’est autre que celle de l’humanité même traduite dans la langue de la métaphysique, c’est que Dieu est une raison éternelle, se pensant soi-même, distincte du monde, parfaite et complète en soi, et produisant l’univers non par une nécessité intrinsèque, mais par la libre volonté de manifester à L’infini sa perfection. En un mot, à la doctrine panthéiste du Dieu impersonnel il oppose la thèse, aujourd’hui hardie, de la personnalité divine. » Vous l’avouez, s’écrient aussitôt les partisans de la doctrine adverse, votre Dieu est une personne, c’est-à-dire un individu, un être particulier, déterminé, fini. Quelle chimère ! quelle superstition ! quel anthropomorphisme ! Voilà Dieu fait à l’image de l’homme ! C’est un homme parfait, si vous voulez, mais c’est un homme ! Il aime, il pense, il veut ! Que lui manque-t-il ? Un corps et des sens, et te voilà tout semblable à nous. Un infini personnel est une contradiction ! » Ce n’est pas ici le lieu de discuter comme elle le mérite une si grande question ; mais, je le demande, une telle objection est-elle sérieuse de la part de ceux qui, pour éviter un Dieu à l’image de l’homme, aiment mieux concevoir un Dieu qui soit l’homme lui-même ? Nous soutenons que la pensée de Dieu est infiniment supérieure à la pensée humaine, qu’elle est à la pensée humaine ce que l’absolu est au relatif, ce que l’être de Dieu est à l’être de l’homme. Vous au contraire, vous affirmez que la pensée de Dieu est la somme, la totalité des pensées humaines, qu’elle est ma pensée, votre pensée, etc. Eh bien ! de ces deux conceptions, c’est la première que vous taxez d’anthropomorphisme, et la seconde qui vous paraît tout à fait digne du Dieu absolu. Nous prêtons à Dieu une pensée infaillible, c’est superstition ; vous lui prêtez nos erreurs et les vôtres, c’est de la haute métaphysique. Eh quoi ! La pensée que j’exprime ici même est une pensée de Dieu. Et cependant cette pensée, elle est erronée suivant vous ; elle est pauvre et méprisable : il y a donc en ce moment même en Dieu une pensée qui se trompe sur la nature de Dieu ! Dieu se trompe sur lui-même : voilà qui ne vous étonne pas ; mais que quelqu’un ose dire qu’il y a un Dieu qui ne se trompe pas, un Dieu qui sait et qui connaît tout d’une manière immédiate, immuable et éternelle, qui pourrait, suivant vous, tolérer un pareil anthropomorphisme ? Encore une fois, je comprendrais qu’on nous dît : Votre idée de Dieu est trop élevée, elle est trop divine, elle dépasse le possible, c’est un idéal irréalisable ; même en religion, il faut être positif, on l’est partout aujourd’hui. — Mais non, on nous dit au contraire que nôtre idée est trop humaine, qu’elle fait Dieu à l’image de l’homme, et en même temps, par une contradiction qui confond et qui scandalise, on dit que Dieu est l’homme lui-même, non pas à la vérité l’homme tout seul, on lui accorde d’être en même temps l’huître et la pierre, car il est le tout. Ah ! sans doute, les dieux des païens avaient des vices, des passions fort peu louables, mais au moins leur Jupiter était plus grand qu’aucun monarque de la terre, leur Junon plus fière qu’aucune reine, leur