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tel humble détail nous arrache parfois des larmes que n’ont pas pu faire jaillir encore les plus légitimes sujets d’affliction. Les épaulettes d’Herwig furent pour Zabori et pour Serpier ces choses dont parle le poète, ces choses d’où jaillissent des pleurs.

— Dieu a fait ce qui était le mieux, dit Serpier quand le cadavre du capitaine passa près des deux jeunes gens.

— Oui, répondit Laërte, Dieu a fait ce qui était le mieux pour cet homme, un de ses élus sans aucun doute. J’envie le sort de cette douce et vaillante créature que la mort seule a empêchée de me maudire. Si j’étais tué, mon épaulette, en flottant le long de ma tunique, ne dirait pas assurément ce que nous disent les épaulettes d’Herwig.


IX.

Après la fuite de Dorothée et la mort d’Herwig, Laërte se laissa entraîner à un cours pernicieux de pensées qui de tout temps ne s’était que trop facilement établi dans son esprit. Le jeune Hongrois se crut plus que jamais le jouet d’une fatalité qui s’attaquait aux plus nobles parties de sa nature et qui corrompait dans leur source ses meilleures qualités. Il se dit qu’il était le chevalier du mal, qu’une puissance maudite faisait tourner à une œuvre coupable toutes ses aspirations héroïques. Bien loin encore de l’heure où devait régner victorieusement en lui cette lumière dont les rayons incertains rendaient plus affreuses les ténèbres où il s’avançait, il cherchait dans la puissance aveugle des combats un soulagement à ses maux. Dévoré d’habitude par un morne ennui, il recouvrait au feu seulement quelque activité; mais ce n’était qu’une activité douloureuse et malsaine, rien de salutaire n’en pouvait sortir. Il avait pris pour la mort un amour défendu ; il désirait le baiser de la terrible fiancée avec une ardeur dont il sentait que le ciel devait s’irriter: il voyait couler le sang et tomber les hommes avec un sentiment de volupté cruelle qu’il se reprochait. Au sortir de ces néfastes délices, il éprouvait d’indicibles fatigues et il songeait malgré lui à Zabori le vampire. Tel est en effet le mélange de désespoir et de dégoût qu’éprouvent, dit-on, vampires et goules à la suite des horribles repas qui ont rempli le rêve sans sommeil de leurs monstrueuses nuits.

Après avoir porté quelques coups vigoureux et rapides, la colonne qui opérait dans la Kabylie reprit le chemin d’Alger. Les bataillons de la légion retournèrent dans leur garnison de Blidah. Ce fut un dimanche que Laërte fit sa rentrée dans la maison où il avait vécu entre Herwig et Dorothée. Un ciel rayonnant d’une lu-