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qu’on avait faite avant le dîner : le colonel regretta que Serpier n’y eût point pris part; il peignit avec entraînement les charmes de ces paysages africains qu’il avait déjà vus sous tant d’aspects. Puis, se tournant vers sa femme avec une grâce pleine de bonté, il dit la joie reconnaissante qu’il éprouvait à voir sa compagne aimer cette existence où il s’était volontairement jeté; il fit compliment à la marquise de son habileté et de son audace équestres. — Je puis, dit-il, vous adresser le salut d’Othello à Desdemona et vous appeler ma belle guerrière. Rassurez-vous du reste, c’est le seul rapport que j’aurai jamais avec le More de Venise. Je déteste et méprise la jalousie. Quelques personnes prétendent pourtant que c’est un encens agréable aux femmes; je crois, moi, que c’est une fumée qui ternit le foyer divin de l’amour.

Un moment arriva cependant où le marquis connut cette jalousie dont il n’avait jamais parlé qu’avec un doux et ironique sourire. Peut-être la nature passionnée de Zabori inspira-t-elle à Mme de Sennemont un sentiment nouveau pour cette âme habituellement portée à la prudence. Ce qui est certain, c’est que le colonel un soir fut mis soudainement sur la trace de son infortune. Aussitôt un changement complet s’opéra chez cette créature aimable, accoutumée à se jouer dans la lumière de la vie. Sennemont fit avec effroi en lui-même des découvertes dont il n’avait jamais eu l’instinct; il descendit dans une sombre région de son cœur qu’il ne soupçonnait pas, et il y trouva des puissances implacables dont il reçut des inspirations. Comme l’avait dit Serpier, il y avait dans ses veines du sang espagnol; ce sang se mit à bouillonner étrangement sous le soleil d’Afrique. Si Laure eût été plus intelligente, et si Zabori n’avait pas eu cette bizarre organisation qui le poussait à ne jamais s’éloigner d’aucun danger, le couple coupable se serait écarté du péril qui le menaçait. Serpier, en cette occurrence, aurait pu exercer une intervention utile; mais depuis quelque temps il s’était banni d’une maison où il ne trouvait plus que des émotions pénibles. La voie était donc ouverte à un de ces funestes événemens dont la colère céleste aplanit la marche aux heures où elle a résolu d’éclater.

Dans tous les pays de violentes chaleurs, c’est au milieu de la journée que la vie est le plus complètement suspendue. Sous certains cieux, midi est plus terrible que minuit. A cet instant, le soleil cherche en vain quelque créature animée à dévorer. Il ne trouve à ronger que le caillou des chemins, la pierre des murailles et l’arête desséchée des montagnes. Tout ce qui est doué d’une existence frémissante, depuis la plante jusqu’à l’homme, s’ingénie en efforts innombrables pour l’éviter. Les flaques d’une clarté brûlante pren-